Ambiance musicale : Lynyrd Skynyrd, Sweet Home Alabama (acoustic)
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Il est des paysages qui forcent le silence, des visions de la nature qui poussent à ne rien faire d’autre qu’à rester muet devant leur beauté pure et vierge. En dépit de leur puissance, de ce qu’ils incarnent, des enjeux de cette rencontre incongrue, tous ceux qui sont rassemblés sur le sol d’Ankwane restent frappés par les plaines herbeuses balayées par le vent, les montagnes lointaines, le ciel bleu qui semble si haut que nul moyen humain ne permette de l’atteindre. Et tout ceci rend très heureux le seigneur Zarakis Zamal.
Il était lui-même tombé amoureux du charme simple et nu d’Ankwane dès la première fois où il y avait posé le pied. De la planète émanait quelque chose d’indicible mais de palpable, une force calme qui vous touchait au cœur et amenait dans votre âme un repos que nul autre spectacle que celui de la vie sauvage laissée libre ne pouvait apporter. Pour le vieux guerrier dont la vie n’avait été rythmée que par la fureur des batailles spatiales, les décisions douloureuses prises en un instant, la mort de ses compagnons d’arme, le choc avait été aussi violent que salvateur. Pour lui, Ankwane était un sanctuaire, un endroit inviolable et sacré où il pouvait trouver refuge de l’âpreté de l’existence.
Il l’avait conquise à la tête de son armada à la faveur d’une grande défaite de ses ennemis Arkies, lors de la guerre civile qui avait amené l’Empereur Ma’Kin II sur le trône. A l’époque, il n’avait guère prêté d’attention aux légendes qui couraient sur cette terre, le fait que contrairement à presque toutes les planètes de l’Empire, celle-ci n’avait pas été adaptée artificiellement à la vie humaine ; la vie avait naquit ici naturellement. Mais de tout cela, Zarakis n’avait cure à l’époque. Ce n’est qu’après une nuit de combat sur la planète de sable de Fering, alors que tous profitaient des quelques heures de pause avant la reprise des hostilités, que le seigneur Zamaal s’intéressa pour la première fois à Ankwane. Il venait de perdre une bonne partie de sa garde lors d’une attaque surprise au sol et lui-même, désormais vieux combattant, n’avait dû sa survie qu’à l’intervention de son garde du corps, un ancien esclave du nom d’Achdab.
Comme tout bon chef de guerre, Zarakis ne s’autorisait pas de repos lors de ces pauses ; il savait combien la peur est prompte à s’installer dans les cœurs dans ces moments et avec elle le doute puis la défaite. La victoire se construit dans le cœur des combattants et c’était à cet instant tout autant que bientôt sur le champ de bataille qu’il lui fallait la bâtir. Zarakis allait donc de groupe de soldat en groupe de soldat, adressant un signe de tête à l’un, prenant des nouvelles de la blessure de l’autre ; il suffisait souvent d’un geste, d’un intention, une main posée en silence sur une épaule, un regard appuyé, pour faire renaître l’espoir dans les yeux de ses hommes. Il était leur chef, leur meneur et c’était en lui qu’ils venaient trouver le courage de se battre.
Alors qu’il finissait de faire le tour de ses troupes, Zarakis était tombé sur un être seul, un peu à l’écart des autres groupes. Il n’avait pas mis longtemps à reconnaître le visage caractéristique d’Achdab, sa peau plus sombre que celle des autres, son corps aussi fin que délicat. Achdab n’avait pas grandit dans des vaisseaux spatiaux, il n’était pas aussi grand que les autres guerriers de la Grande Maison Zamal mais sa rapidité et son agilité était connue de tous. Personne pour autant ne pouvait se targuer de le connaître ou de lui faire confiance : Achdab était trop différent d’eux pour qu’ils l’acceptent comme l’un des leurs. Zarakis, qui ne s’embarrassait guère de ce genre de frivolités, avait reconnu en son assassin solitaire un guerrier au premier coup d’œil, un être qui n’hésiterait pas à donner la mort si c’était nécessaire sans pour autant aimer recourir à la violence. En dépit de son statu d’ex-esclave, il en avait fait son homme de confiance et avait remis sa vie entre ses mains lors du décès de son ancien garde du corps. Les derniers jours de combat avaient vu la pertinence de son choix tant il avait évité la mort grâce à l’habileté d’Achdab. Ce soir là, le petit tueur ne semblait pas plus que d’habitude en proie au doute ou à la peur. Il se contentait de rester dans son coin, le visage calme et les yeux rivés vers les étoiles.
« Je peux m’asseoir, Achdab ? »
Comme sorti d’une intense rêverie, l’homme de main du seigneur Zamal prend un temps pour répondre avant de désigner de la main une place à côté de lui. Zarakis se pose au sol, regarder en l’air en tachant de comprendre ce qui a pu absorber autant son vis-à-vis. Celui-ci semble avoir deviné l’interrogation muette du seigneur.
« Je regardais les étoiles. Je pensais à chez moi. »
Zarakis répond par un grognement guttural dont il l’habitude, peut-être par crainte de sortir son compagnon de la douce rêverie dans laquelle il paraît errer
« Je me demandais si j’y retournerai un jour avant de mourir. »
« Tu es un homme libre désormais Achdab. Si tu es encore en vie à la fin de la guerre, tu pourras renter chez toi. »
« Peut-être. Mais ma planète est occupée. Si je veux la retrouver telle que je l’ai connue, il faudra me battre encore. »
« Où est-ce chez toi ? »
« C’est une planète de vent, une succession de plaines aux herbes vertes qui montent jusqu’au cuisses, de moulin géants qui captent la puissance de l’air pour alimenter les maisons. Il n’y a pas de vaisseaux, pas ce confort qui vous entoure tous et qui vous a attendri. Mais c’est beau et ça me manque. »
« Mais où est-ce ? »
« Je ne sais pas. »
Naturellement, le pauvre n’avait eu aucune éducation spatiale, il n’avait jamais dû lire une carte ni voyager de planète en planète. Mais il parlait avec tant d’émotion dans la voix de sa terre natale que Zarakis en était touché. Toute la nuit, le seigneur combattant questionna son assassin sur la terre de ses ancêtres. Il appris la valeur de leurs croyances, le respect qu’ils portaient aux morts, leur amour de la nature et de l’effort, leur connivence avec le vent qui rythmait leur existence.
Le lendemain, l’assaut repris et Achdab sauva une dernière fois la vie de Zarakis au prix de la sienne. Une fois le reste de ses hommes amené en lieu sûr, Zarakis reparti seul sur le champ de bataille. Il retrouva le corps de son garde, régla son fusil laser à la puissance maximale et pulvérisa le cadavre ; avec une infinie précaution, il vida sa blague à tabac dans le sable et entreprit de la remplir avec le contenu des cendres d’Achdab. Et là il fit le serment de déposer les restes de celui qui lui avait sauvé la vie tant de fois de ramener ses cendre sur sa planète libérée.
La guerre civile suivi son cours. Zarakis et ses hommes furent sauvés par un détachement aérien quelques jours plus tard. Peu à peu, la force de la Grande Maison Zamal s’imposait au reste de l’Empire. Le Seigneur cherchait sans relâche l’origine de son assassin mort au combat. Il fini par trouver et découvrir l’existence d’Ankwane qui, ironie du sort, était presque limitrophe à ses propres territoires. La petitesse de la planète et son manque de ressources fossiles l’avait rendue invisible à la plupart des cartes spatiales mais elle était toute proche. Cependant, étant sous contrôle de la puissante Grande Maison Arkies, Ankwane était hors d’atteinte. A l’époque, Zarakis ne pouvait se permettre le luxe de prendre d’assaut directement le territoire de son voisin à la flotte spatiale si supérieure à la sienne. Puis la guerre civile poussa les Arkies à envoyer massivement des vaisseaux sur le front Ouest de l’Empire, rendant ses frontières vulnérables. Quarante-huit heures plus tard, les maigres défenses d’Ankwane tombaient des mains des Zamals et Zarakis posait le pied sur le sol de la planète, dispersant les cendres de son compagnon d’arme au gré des gigantesques bourrasques qui balayaient les étendues herbeuses.
Zarakis s’était toujours plus occupé de cette planète chère à son cœur qu’il ne l’aurait dû. Il avait laissé un contingent de défense pour bloquer toute volonté des Arkies de revenir en force. Dès que la paix s’était imposée à la suite du couronnement de Ma’Kin II, le seigneur Zamal avait progressivement et prudemment évacué Ankwane pour la laisser aux mains d’un ancien gradé de son armée à qui il offrit la planète. Il en retira un immense déplaisir car il aurait voulu que les habitants locaux n’aient nul maître à qui rendre des comptes. Mais les lois impériales imposaient à chaque planète un interlocuteur digne de ce nom et le peuple d’Ankwane n’avait que faire d’un tel protocole. Laisser un homme à lui sur place était la garantie pour Zarakis que personne ne profiterait du vide administratif que représentait la petite planète pour l’acquérir par une manœuvre diplomatique au Sénat Impérial. Force était en outre de constater que les habitants d’Ankwane se souciaient assez peu de leur prétendue servitude du moment que nul n’entravait leurs éternelles allées et venues ni le respect de leur culture à laquelle ils tenaient tant. L’homme mis en poste par Zarakis était en outre un être usé par la guerre, bien trop faible pour dominer la population, trop désireux de plaire à son ancien seigneur pour aller à l’encontre de ses exigences mais apte à tenir son rôle face à un agent impérial.
Cette myriade de souvenir danse dans l’esprit de Zarakis et lui étreint le cœur au même titre que la magie de cette planète. Contrairement à tous ceux qui se tiennent dans la plaine venteuse en ce moment, il sait pourquoi le régisseur impérial Entaris Iridian les a convoqué : Rengad Hussif, ancien soldat et vassal de la Maison Zamal, régent de la planète Ankwane est décédé. Sans héritier, il laisse une place vide qu’il faut combler. Or la planète pose problème : d’un elle est située entre les territoires de deux Grandes Maisons puissantes ; de deux son histoire est lourde d’une opposition armée entre ces deux Grandes Maisons pour sa possession. Les risques d’affrontement sont donc évidents entre Zamals et Arkies. La seule solution intelligente était donc d’envoyer un émissaire mandaté par l’Empereur afin que Sa Majesté fasse reconnaître son droit d’arbitrage en la matière plutôt que de laisser ses vassaux se faire la guerre dans leur coin. C’est donc sans surprise mais avec beaucoup de satisfaction que Zarakis a reçu l’ordre de se rendre sur Ankwane deux jours après avoir appris la mort de Rengad Hussif. Cette joie a d’ailleurs fait beaucoup jaser : pour tout le monde, le seigneur a beaucoup à perdre avec la disparition de son allié. Si l’influence Zamale sur Ankwane n’était pas publique, il était clair que c’était avant tout Zarakis qui avait la main sur la planète; la mort de Hussif marque la fin d’une diplomatie unilatérale et sans aucun danger.
Le plaisir de Zarakis est plus subtil : il est heureux de la réaction de l’Empereur qui a fait le bon choix selon lui et a su réagir comme il l’espérait, non pas au bénéfice de la maison Zamal mais à celui de la justice. Le vieux guerrier a beaucoup risqué pour aider Ma’Kin II à prendre le trône et sans la gestion militaire désastreuse des Arkies, il est probable qu’il aurait pu perdre une bonne partie de ses territoires. Mais Kenyl Arkies, alors tout jeune seigneur depuis la mort de son père, n’avait à l’époque ni l’expérience ni le cran pour prendre les bonnes décisions lors d’un conflit majeur. Il savait s’entourer, il avait su d’ailleurs très vite apprendre de ses erreurs et faire confiance à des gens capables, mais cette Grande Maison qui brillait tant par ses exploits économiques et politiques n’était pas une nation guerrière. Les Arkies avait fait l’erreur d’envoyer leur flotte dans des batailles à l’importance secondaire, perdant de nombreux vaisseaux qui leur coûtaient à chaque affrontement une portion non négligeable de leur ressources, tant humaines que matérielles. Ils faisaient la une de tous les journaux, on parlait d’eux comme des maîtres de l’espace tant leurs engins étaient craints sur le champ de bataille spatial. Mais les médias ne font pas gagner les guerres ; loin des titres à sensations, de vrais stratèges prenaient bien soin d’amenuiser l’armada des Arkies lors de défaites calculées jusqu’à ce qu’il ne reste plus assez de forces à Kenyl pour fondre sur Bengalia, la capitale de l’Empire. Une fois affaibli, le seigneur Arkies avait tenté de fédérer une alliance autour d’un concept novateur d’un pouvoir nouveau, sans empereur et où la liberté individuelle ferait loi. Il n’avait pas été long à être abandonné de tous, ses alliés potentiels riant de ses visées humanistes bonnes pour un salon philosophique mais très peu pour la réalité du monde. Cela faisait encore rire Zarakis : l’idée d’abandonner l’Empire pour une démocratie universelle. Kenyl était de ces idéalistes qui construisaient des châteaux de cartes intellectuels dans leur tête sans même se soucier de savoir s’ils étaient viables. Tant que l’idée semblait séduisante et surtout pleine de panache, elle avait ses faveurs. Que croyait-il ? Qu’on avait édifié un système politique impérial par plaisir ? Non, on l’avait fait car c’était le seul qui puisse résister à l’envergure immense de l’expansion humaine dans l’espace. La démocratie, la technocratie, l’anarchie, l’auto régulation sans chef ni contraintes n’étaient possibles qu’à une toute petite échelle. Sitôt qu’un groupe d’individus fédérés sous une même bannière arrive à un seuil critique, défini par son nombre, elle doit muer en un système plus dur, plus violent et unilatéral. Il n’y avait rien là de méritoire ou de raison de s’enorgueillir : plus un pouvoir a recours à la force, plus il se sait, consciemment ou non, menacé. L’Humanité ne devait son unité qu’au diktat imposé par l’Empereur et les Grande Maison ; système féodal archaïque, cette hiérarchie injuste et âpre était néanmoins nécessaire. Zarakis l’avait expérimenté toute sa vie sur les champs de bataille : dès lors que des choix courageux et difficiles surgissent, le plus grand nombre se choisi un chef, un père, pour les guider et, accessoirement, prendre les responsabilités à sa place. L’Empire se sait menacé, il connaît les poussées indépendantistes des uns et des autres, il sait que s’il relâche la pression sur la masse immense des ses centaines de milliards de sujets, il sera face au constat de son impuissance et de ses faiblesses.
Kenyl Arkies avait oublié cette loi élémentaire du groupe et c’est pourquoi, en dépit de toute sa science dans la diplomatie, il avait échoué. Zarakis et son camp savaient, eux, de quoi il en retournait et s’était choisi un champion charismatique et capable en la personne de Ma’Kin II. Il n’était pas le meilleur des hommes, il n’était pas même le meilleur d’entre eux mais il était le seul capable de prendre les rênes du pouvoir. Pour autant, c’était un pari : si jamais les espoirs de Zarakis et de ses alliés s’avéraient infondés, l’Empire n’aurait pas survécu à la violence de la guerre civile. Il fallait un être hors du commun pour guérir les plaies de l’Empire, canaliser l’inconscient collectif de la majorité, incarner des grands thèmes qui parlent au cœur de tous. Le seigneur Zamal avait aujourd’hui une preuve supplémentaire qu’il avait fait le bon choix. La présence d’Entaris Iridian témoignait du sérieux et de la détermination de Ma’Kin II à s’imposer ; il le faisait à sa manière, toujours sous un couvert de faiblesse pour venir frapper au bon moment comme avec ces curieux Planétologues tout juste apparus sur le devant de la scène, mais il travaillait. Zarakis est donc heureux, non pas d’avoir perdu Ankwane mais d’avoir gagné la guerre, d’avoir misé sur le bon leader qui sait la valeur de la justice et de l’honneur.
La sonnerie d’un communicateur vient perturber le sentiment pur et sans artifices du spectacle qui s’étale devant les yeux de Zarakis et de la petite troupe qui l’accompagne. Sans que quiconque puisse l’en empêcher, la communication s’établi et l’hologramme du régisseur Iridian se forme sur l’avant bras du seigneur Zamaal. Il est jeune, si jeune, c’en est presque risible. Mais il y a quelque chose en lui de fort, structurant. A sa manière, c’est probablement un guerrier lui aussi.
« Vous êtes en retard, seigneur Zamal. »
« C’est vrai. »
Zarakis n’ajoute rien, il n’y a d’ailleurs rien à dire de plus. Contrairement aux ordres qui lui ont été donnés, il n’est pas immédiatement allé poser son vaisseau sur la station orbitale mais a atterri sur le sol d’Ankwane même, ne voulant pas manquer une occasion de revoir ce paysage qu’il vénère.
« Je ne peux pas tolérer plus longtemps cet écart au protocole diplomatique, seigneur Zamal. Veuillez vous rendre immédiatement au point de rendez-vous. »
« Il sera fait selon vos désirs, Régisseur. », répond Zarakis, narquois, qui a bien envie de voir ce que ce jeune coq a dans les tripes.
Coupant la communication, Zarakis se rempli de toutes les sensations qui l’enveloppe lorsqu’il est ici, reculant de quelques instants encore le moment redouté du départ. Puis sa volonté reprend le dessus, s’impose à de ses désirs sensoriels.
« On y va. », déclare simplement Zarakis, provoquant le mouvement conjoint de tous ceux qui l’ont accompagné sur le sol d’Ankwane.
Alors que tous retournent jusqu’au terrifiant vaisseau noir bardé de canons et sans aucune recherche esthétique, l’un des compagnons de Zarakis reste lui un peu en retrait, comme hypnotisé par le paysage. Le vieux seigneur de guerre s’approche de Darab Mu, son assassin favori et probablement celui de ses hommes pour lequel il le plus d’affection, pose une main amicale sur son épaule et l’entraîne à la suite des autres.
Il était lui-même tombé amoureux du charme simple et nu d’Ankwane dès la première fois où il y avait posé le pied. De la planète émanait quelque chose d’indicible mais de palpable, une force calme qui vous touchait au cœur et amenait dans votre âme un repos que nul autre spectacle que celui de la vie sauvage laissée libre ne pouvait apporter. Pour le vieux guerrier dont la vie n’avait été rythmée que par la fureur des batailles spatiales, les décisions douloureuses prises en un instant, la mort de ses compagnons d’arme, le choc avait été aussi violent que salvateur. Pour lui, Ankwane était un sanctuaire, un endroit inviolable et sacré où il pouvait trouver refuge de l’âpreté de l’existence.
Il l’avait conquise à la tête de son armada à la faveur d’une grande défaite de ses ennemis Arkies, lors de la guerre civile qui avait amené l’Empereur Ma’Kin II sur le trône. A l’époque, il n’avait guère prêté d’attention aux légendes qui couraient sur cette terre, le fait que contrairement à presque toutes les planètes de l’Empire, celle-ci n’avait pas été adaptée artificiellement à la vie humaine ; la vie avait naquit ici naturellement. Mais de tout cela, Zarakis n’avait cure à l’époque. Ce n’est qu’après une nuit de combat sur la planète de sable de Fering, alors que tous profitaient des quelques heures de pause avant la reprise des hostilités, que le seigneur Zamaal s’intéressa pour la première fois à Ankwane. Il venait de perdre une bonne partie de sa garde lors d’une attaque surprise au sol et lui-même, désormais vieux combattant, n’avait dû sa survie qu’à l’intervention de son garde du corps, un ancien esclave du nom d’Achdab.
Comme tout bon chef de guerre, Zarakis ne s’autorisait pas de repos lors de ces pauses ; il savait combien la peur est prompte à s’installer dans les cœurs dans ces moments et avec elle le doute puis la défaite. La victoire se construit dans le cœur des combattants et c’était à cet instant tout autant que bientôt sur le champ de bataille qu’il lui fallait la bâtir. Zarakis allait donc de groupe de soldat en groupe de soldat, adressant un signe de tête à l’un, prenant des nouvelles de la blessure de l’autre ; il suffisait souvent d’un geste, d’un intention, une main posée en silence sur une épaule, un regard appuyé, pour faire renaître l’espoir dans les yeux de ses hommes. Il était leur chef, leur meneur et c’était en lui qu’ils venaient trouver le courage de se battre.
Alors qu’il finissait de faire le tour de ses troupes, Zarakis était tombé sur un être seul, un peu à l’écart des autres groupes. Il n’avait pas mis longtemps à reconnaître le visage caractéristique d’Achdab, sa peau plus sombre que celle des autres, son corps aussi fin que délicat. Achdab n’avait pas grandit dans des vaisseaux spatiaux, il n’était pas aussi grand que les autres guerriers de la Grande Maison Zamal mais sa rapidité et son agilité était connue de tous. Personne pour autant ne pouvait se targuer de le connaître ou de lui faire confiance : Achdab était trop différent d’eux pour qu’ils l’acceptent comme l’un des leurs. Zarakis, qui ne s’embarrassait guère de ce genre de frivolités, avait reconnu en son assassin solitaire un guerrier au premier coup d’œil, un être qui n’hésiterait pas à donner la mort si c’était nécessaire sans pour autant aimer recourir à la violence. En dépit de son statu d’ex-esclave, il en avait fait son homme de confiance et avait remis sa vie entre ses mains lors du décès de son ancien garde du corps. Les derniers jours de combat avaient vu la pertinence de son choix tant il avait évité la mort grâce à l’habileté d’Achdab. Ce soir là, le petit tueur ne semblait pas plus que d’habitude en proie au doute ou à la peur. Il se contentait de rester dans son coin, le visage calme et les yeux rivés vers les étoiles.
« Je peux m’asseoir, Achdab ? »
Comme sorti d’une intense rêverie, l’homme de main du seigneur Zamal prend un temps pour répondre avant de désigner de la main une place à côté de lui. Zarakis se pose au sol, regarder en l’air en tachant de comprendre ce qui a pu absorber autant son vis-à-vis. Celui-ci semble avoir deviné l’interrogation muette du seigneur.
« Je regardais les étoiles. Je pensais à chez moi. »
Zarakis répond par un grognement guttural dont il l’habitude, peut-être par crainte de sortir son compagnon de la douce rêverie dans laquelle il paraît errer
« Je me demandais si j’y retournerai un jour avant de mourir. »
« Tu es un homme libre désormais Achdab. Si tu es encore en vie à la fin de la guerre, tu pourras renter chez toi. »
« Peut-être. Mais ma planète est occupée. Si je veux la retrouver telle que je l’ai connue, il faudra me battre encore. »
« Où est-ce chez toi ? »
« C’est une planète de vent, une succession de plaines aux herbes vertes qui montent jusqu’au cuisses, de moulin géants qui captent la puissance de l’air pour alimenter les maisons. Il n’y a pas de vaisseaux, pas ce confort qui vous entoure tous et qui vous a attendri. Mais c’est beau et ça me manque. »
« Mais où est-ce ? »
« Je ne sais pas. »
Naturellement, le pauvre n’avait eu aucune éducation spatiale, il n’avait jamais dû lire une carte ni voyager de planète en planète. Mais il parlait avec tant d’émotion dans la voix de sa terre natale que Zarakis en était touché. Toute la nuit, le seigneur combattant questionna son assassin sur la terre de ses ancêtres. Il appris la valeur de leurs croyances, le respect qu’ils portaient aux morts, leur amour de la nature et de l’effort, leur connivence avec le vent qui rythmait leur existence.
Le lendemain, l’assaut repris et Achdab sauva une dernière fois la vie de Zarakis au prix de la sienne. Une fois le reste de ses hommes amené en lieu sûr, Zarakis reparti seul sur le champ de bataille. Il retrouva le corps de son garde, régla son fusil laser à la puissance maximale et pulvérisa le cadavre ; avec une infinie précaution, il vida sa blague à tabac dans le sable et entreprit de la remplir avec le contenu des cendres d’Achdab. Et là il fit le serment de déposer les restes de celui qui lui avait sauvé la vie tant de fois de ramener ses cendre sur sa planète libérée.
La guerre civile suivi son cours. Zarakis et ses hommes furent sauvés par un détachement aérien quelques jours plus tard. Peu à peu, la force de la Grande Maison Zamal s’imposait au reste de l’Empire. Le Seigneur cherchait sans relâche l’origine de son assassin mort au combat. Il fini par trouver et découvrir l’existence d’Ankwane qui, ironie du sort, était presque limitrophe à ses propres territoires. La petitesse de la planète et son manque de ressources fossiles l’avait rendue invisible à la plupart des cartes spatiales mais elle était toute proche. Cependant, étant sous contrôle de la puissante Grande Maison Arkies, Ankwane était hors d’atteinte. A l’époque, Zarakis ne pouvait se permettre le luxe de prendre d’assaut directement le territoire de son voisin à la flotte spatiale si supérieure à la sienne. Puis la guerre civile poussa les Arkies à envoyer massivement des vaisseaux sur le front Ouest de l’Empire, rendant ses frontières vulnérables. Quarante-huit heures plus tard, les maigres défenses d’Ankwane tombaient des mains des Zamals et Zarakis posait le pied sur le sol de la planète, dispersant les cendres de son compagnon d’arme au gré des gigantesques bourrasques qui balayaient les étendues herbeuses.
Zarakis s’était toujours plus occupé de cette planète chère à son cœur qu’il ne l’aurait dû. Il avait laissé un contingent de défense pour bloquer toute volonté des Arkies de revenir en force. Dès que la paix s’était imposée à la suite du couronnement de Ma’Kin II, le seigneur Zamal avait progressivement et prudemment évacué Ankwane pour la laisser aux mains d’un ancien gradé de son armée à qui il offrit la planète. Il en retira un immense déplaisir car il aurait voulu que les habitants locaux n’aient nul maître à qui rendre des comptes. Mais les lois impériales imposaient à chaque planète un interlocuteur digne de ce nom et le peuple d’Ankwane n’avait que faire d’un tel protocole. Laisser un homme à lui sur place était la garantie pour Zarakis que personne ne profiterait du vide administratif que représentait la petite planète pour l’acquérir par une manœuvre diplomatique au Sénat Impérial. Force était en outre de constater que les habitants d’Ankwane se souciaient assez peu de leur prétendue servitude du moment que nul n’entravait leurs éternelles allées et venues ni le respect de leur culture à laquelle ils tenaient tant. L’homme mis en poste par Zarakis était en outre un être usé par la guerre, bien trop faible pour dominer la population, trop désireux de plaire à son ancien seigneur pour aller à l’encontre de ses exigences mais apte à tenir son rôle face à un agent impérial.
Cette myriade de souvenir danse dans l’esprit de Zarakis et lui étreint le cœur au même titre que la magie de cette planète. Contrairement à tous ceux qui se tiennent dans la plaine venteuse en ce moment, il sait pourquoi le régisseur impérial Entaris Iridian les a convoqué : Rengad Hussif, ancien soldat et vassal de la Maison Zamal, régent de la planète Ankwane est décédé. Sans héritier, il laisse une place vide qu’il faut combler. Or la planète pose problème : d’un elle est située entre les territoires de deux Grandes Maisons puissantes ; de deux son histoire est lourde d’une opposition armée entre ces deux Grandes Maisons pour sa possession. Les risques d’affrontement sont donc évidents entre Zamals et Arkies. La seule solution intelligente était donc d’envoyer un émissaire mandaté par l’Empereur afin que Sa Majesté fasse reconnaître son droit d’arbitrage en la matière plutôt que de laisser ses vassaux se faire la guerre dans leur coin. C’est donc sans surprise mais avec beaucoup de satisfaction que Zarakis a reçu l’ordre de se rendre sur Ankwane deux jours après avoir appris la mort de Rengad Hussif. Cette joie a d’ailleurs fait beaucoup jaser : pour tout le monde, le seigneur a beaucoup à perdre avec la disparition de son allié. Si l’influence Zamale sur Ankwane n’était pas publique, il était clair que c’était avant tout Zarakis qui avait la main sur la planète; la mort de Hussif marque la fin d’une diplomatie unilatérale et sans aucun danger.
Le plaisir de Zarakis est plus subtil : il est heureux de la réaction de l’Empereur qui a fait le bon choix selon lui et a su réagir comme il l’espérait, non pas au bénéfice de la maison Zamal mais à celui de la justice. Le vieux guerrier a beaucoup risqué pour aider Ma’Kin II à prendre le trône et sans la gestion militaire désastreuse des Arkies, il est probable qu’il aurait pu perdre une bonne partie de ses territoires. Mais Kenyl Arkies, alors tout jeune seigneur depuis la mort de son père, n’avait à l’époque ni l’expérience ni le cran pour prendre les bonnes décisions lors d’un conflit majeur. Il savait s’entourer, il avait su d’ailleurs très vite apprendre de ses erreurs et faire confiance à des gens capables, mais cette Grande Maison qui brillait tant par ses exploits économiques et politiques n’était pas une nation guerrière. Les Arkies avait fait l’erreur d’envoyer leur flotte dans des batailles à l’importance secondaire, perdant de nombreux vaisseaux qui leur coûtaient à chaque affrontement une portion non négligeable de leur ressources, tant humaines que matérielles. Ils faisaient la une de tous les journaux, on parlait d’eux comme des maîtres de l’espace tant leurs engins étaient craints sur le champ de bataille spatial. Mais les médias ne font pas gagner les guerres ; loin des titres à sensations, de vrais stratèges prenaient bien soin d’amenuiser l’armada des Arkies lors de défaites calculées jusqu’à ce qu’il ne reste plus assez de forces à Kenyl pour fondre sur Bengalia, la capitale de l’Empire. Une fois affaibli, le seigneur Arkies avait tenté de fédérer une alliance autour d’un concept novateur d’un pouvoir nouveau, sans empereur et où la liberté individuelle ferait loi. Il n’avait pas été long à être abandonné de tous, ses alliés potentiels riant de ses visées humanistes bonnes pour un salon philosophique mais très peu pour la réalité du monde. Cela faisait encore rire Zarakis : l’idée d’abandonner l’Empire pour une démocratie universelle. Kenyl était de ces idéalistes qui construisaient des châteaux de cartes intellectuels dans leur tête sans même se soucier de savoir s’ils étaient viables. Tant que l’idée semblait séduisante et surtout pleine de panache, elle avait ses faveurs. Que croyait-il ? Qu’on avait édifié un système politique impérial par plaisir ? Non, on l’avait fait car c’était le seul qui puisse résister à l’envergure immense de l’expansion humaine dans l’espace. La démocratie, la technocratie, l’anarchie, l’auto régulation sans chef ni contraintes n’étaient possibles qu’à une toute petite échelle. Sitôt qu’un groupe d’individus fédérés sous une même bannière arrive à un seuil critique, défini par son nombre, elle doit muer en un système plus dur, plus violent et unilatéral. Il n’y avait rien là de méritoire ou de raison de s’enorgueillir : plus un pouvoir a recours à la force, plus il se sait, consciemment ou non, menacé. L’Humanité ne devait son unité qu’au diktat imposé par l’Empereur et les Grande Maison ; système féodal archaïque, cette hiérarchie injuste et âpre était néanmoins nécessaire. Zarakis l’avait expérimenté toute sa vie sur les champs de bataille : dès lors que des choix courageux et difficiles surgissent, le plus grand nombre se choisi un chef, un père, pour les guider et, accessoirement, prendre les responsabilités à sa place. L’Empire se sait menacé, il connaît les poussées indépendantistes des uns et des autres, il sait que s’il relâche la pression sur la masse immense des ses centaines de milliards de sujets, il sera face au constat de son impuissance et de ses faiblesses.
Kenyl Arkies avait oublié cette loi élémentaire du groupe et c’est pourquoi, en dépit de toute sa science dans la diplomatie, il avait échoué. Zarakis et son camp savaient, eux, de quoi il en retournait et s’était choisi un champion charismatique et capable en la personne de Ma’Kin II. Il n’était pas le meilleur des hommes, il n’était pas même le meilleur d’entre eux mais il était le seul capable de prendre les rênes du pouvoir. Pour autant, c’était un pari : si jamais les espoirs de Zarakis et de ses alliés s’avéraient infondés, l’Empire n’aurait pas survécu à la violence de la guerre civile. Il fallait un être hors du commun pour guérir les plaies de l’Empire, canaliser l’inconscient collectif de la majorité, incarner des grands thèmes qui parlent au cœur de tous. Le seigneur Zamal avait aujourd’hui une preuve supplémentaire qu’il avait fait le bon choix. La présence d’Entaris Iridian témoignait du sérieux et de la détermination de Ma’Kin II à s’imposer ; il le faisait à sa manière, toujours sous un couvert de faiblesse pour venir frapper au bon moment comme avec ces curieux Planétologues tout juste apparus sur le devant de la scène, mais il travaillait. Zarakis est donc heureux, non pas d’avoir perdu Ankwane mais d’avoir gagné la guerre, d’avoir misé sur le bon leader qui sait la valeur de la justice et de l’honneur.
La sonnerie d’un communicateur vient perturber le sentiment pur et sans artifices du spectacle qui s’étale devant les yeux de Zarakis et de la petite troupe qui l’accompagne. Sans que quiconque puisse l’en empêcher, la communication s’établi et l’hologramme du régisseur Iridian se forme sur l’avant bras du seigneur Zamaal. Il est jeune, si jeune, c’en est presque risible. Mais il y a quelque chose en lui de fort, structurant. A sa manière, c’est probablement un guerrier lui aussi.
« Vous êtes en retard, seigneur Zamal. »
« C’est vrai. »
Zarakis n’ajoute rien, il n’y a d’ailleurs rien à dire de plus. Contrairement aux ordres qui lui ont été donnés, il n’est pas immédiatement allé poser son vaisseau sur la station orbitale mais a atterri sur le sol d’Ankwane même, ne voulant pas manquer une occasion de revoir ce paysage qu’il vénère.
« Je ne peux pas tolérer plus longtemps cet écart au protocole diplomatique, seigneur Zamal. Veuillez vous rendre immédiatement au point de rendez-vous. »
« Il sera fait selon vos désirs, Régisseur. », répond Zarakis, narquois, qui a bien envie de voir ce que ce jeune coq a dans les tripes.
Coupant la communication, Zarakis se rempli de toutes les sensations qui l’enveloppe lorsqu’il est ici, reculant de quelques instants encore le moment redouté du départ. Puis sa volonté reprend le dessus, s’impose à de ses désirs sensoriels.
« On y va. », déclare simplement Zarakis, provoquant le mouvement conjoint de tous ceux qui l’ont accompagné sur le sol d’Ankwane.
Alors que tous retournent jusqu’au terrifiant vaisseau noir bardé de canons et sans aucune recherche esthétique, l’un des compagnons de Zarakis reste lui un peu en retrait, comme hypnotisé par le paysage. Le vieux seigneur de guerre s’approche de Darab Mu, son assassin favori et probablement celui de ses hommes pour lequel il le plus d’affection, pose une main amicale sur son épaule et l’entraîne à la suite des autres.