Arkies 02 – Zamal 01 (1)

Ambiance musicale : Craig David, Come Together (live)

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Le moins que l’on puisse dire, c’est que le seigneur Kenyl Arkies exultait littéralement depuis son retour d’Ankwane. Tout le long du voyage retour, on l’avait entendu parler d’une voix forte avec Garon Bazir dans la chambre privée qui était la sienne au sein du majestueux vaisseau seigneurial de la Grande Maison et dont il n’avait même pas pris la peine de fermer la porte. Il n’avait pas quitté depuis les deux jours qui les séparaient de l’annonce d’Entaris Iridian une vitalité qu’on ne lui avait connu que depuis la guerre civile qui avait ravagé l’Empire, une douzaine d’année auparavant. Alors que la presse de toutes les planètes sous contrôle Arkies faisaient leurs choux gras de l’événement, que tous murmuraient dans les couloirs du palais des prophéties de comptoir sur les décisions qu’allait prendre le seigneur et sur les conséquences que ces décisions pourraient avoir sur les relations avec leurs voisins Zamals, la tensions régnait en maître et tous attendaient de savoir ce que le futur leur réservait.
C’est donc avec une impatience à la limite du tolérable que simples citoyens et gens d’influence apprirent avec émerveillement qu’un conseil spécial se tenait à l’état major de la Grande Maison Arkies et que ce qui serait dit et décidé lors de cette réunion exceptionnelle guiderait le destin de la Maison dans une direction aussi décisive que radicale. Il faut dire que le seigneur Arkies savait s’y prendre lorsqu’il s’agissait de monter un événement en épingle : sa science de la sphère publique, son jeu de scène face aux journalistes, son verbe et sa répartie avaient grandement favorisé son ascendance sur les foules. Dans une Grande Maison où la liberté d’expression de tout un chacun était considérée comme un bien inviolable, il était d’ailleurs préférable que cela soit le cas, les journalistes Arkies étant connus pour leur mordant et leur esprit critique. Entre eux et Kenyl, c’était un long roman d’amour et de haine qui s’écrivait chaque jour. Et c’est donc avec une joie non feinte et une gravité dont il tirait un orgueil certain que le seigneur Arkies avait fait une élocution holographique retransmise sur toutes les télévisions de la Grande Maison ainsi que sur les chaînes d’information un peu partout dans l’Empire, promettant que de grandes choses allaient être dîtes à ce fameux conseil.
La réunion se tient au palais Arkies, dans un mélange de luxe opulent, d’énergie sociale et d’excitation à la limite de l’hystérie collective. La horde de journalistes avait pu voir tour à tour arriver les voitures volantes du général Lowis Murpugo, toujours en avance et sentencieux dans ses déclarations lapidaires, Ranel Jun, le chef de la Guilde du Commerce qui ne manqua pas de critiquer ouvertement la conduite du seigneur Arkies face à des caméras avides de tout commentaire acerbe, celle de Joralie Kanem qui à la surprise générale était accompagnée de Dartas Huji, immédiatement suivi de la clinquante automobile de Gerdan Donidas, un intellectuel de renom et ancien ambassadeur de la Grande Maison chez les Zamal. Clou du spectacle, la famille régnante arrive à bord de son véhicule en forme de carrosse pour ouvrir ses portes sur la divine Célia Arkies, suivie de son père et de sa mère. Saluant la foule avec la science qui est la leur, ils passent deux bonnes minutes à s’offrir à l’œil des caméras, affichant des visages radieux et confiants. C’est au moment du bon mot du seigneur à l’adresse des journalistes, celui où il allait avec son air pimpant expliquer une fois de plus que de solides décisions allaient être prises pour l’avenir de la Grande Maison que le trublion de la fête, celui qui n’avait pas démordu de son air renfrogné depuis que Kenyl avait rendu public le duel qui l’oppose aux Arkies, Garon Bazir arrive ; il est à pied comme à son habitude, cigarette aux lèvres et le visage blasé. Garon déteste les journalistes, il déteste être au centre de l’attention comme il déteste le populisme bêta du rapport de Kenyl avec les gens de l’information. Sans desserrer les mâchoires, il fend la haie de caméramans, hoche la tête en direction du seigneur Arkies avec un lourd regard de reproche et rentre dans le palais d’un pas vif.
L’ambiance festive ne prend fin que lorsque les lourdes portes de la salle de réunion du palais se referment sur tout ce petit monde ; la pièce est immense et sombre ; en son centre, une titanesque table de métal permet à plus de vingt personnes de prendre place pour ce genre de rassemblement. La surface de la table est entièrement couverte d’écrans holographiques, tous prêts à retransmettre les informations dont les gens rassemblés ici pourront avoir besoin. Il n’y a rien d’autre, ni belle tapisserie ni statuettes raffinées comme les ancêtres de Kenyl ont eu tant de soin à garnir leur précieux palais. Tous sont assis lorsque la famille seigneuriale fait son entrée, Kenyl visiblement fâché de l’arrivée peu reluisante de Garon qui lui a ravi son moment d’éclat avant de quitter les journalistes.
« Mesdames, mademoiselle, messieurs, je déclare le conseil exceptionnel ouvert. »
Le seigneur parle en marchant jusqu’à sa chaise sur laquelle il s’assied avec gravité, plantant son regard dans chacun de ses vis-à-vis. Dans la grande salle sombre, le silence règne, uniquement perturbé par le jeu des doigts de Kenyl Arkies sur la table de métal noir. Après de longues secondes qui mettent à rude épreuve les nerfs des plus fragiles invités, il reprend :
« Je suppose que vous lisez tous les journaux ; vous savez donc tous ce qu’il en est de la situation actuelle. Vous êtes ici car j’attends de vous de propositions concrètes, des idées, des initiatives. Je vous écoute. »
Immédiatement, le général Murpugo se lève, raide, les yeux dans le lointain.
« Monseigneur. »
« Général. »
« Monseigneur, nos renseignements sur la situation d’Ankwane sont formels : la planète est sans défense. Aucun bastion Zamal n’est encore en place là-bas. Les habitants locaux n’ont ni place-forte ni armée de métier. En un mot, elle est sans défense face à notre force de frappe. J’ajoute que d’après mes estimations personnelles, un seul de nos bataillons peut aisément prendre le contrôle de la planète. Les vaisseaux de combat peuvent y arriver dans les quatorze heures et d’ici une journée avoir imposé notre présence sur place. Les Zamals doivent avoir fait  le même calcul mais leurs vaisseaux de transport de troupes sont bien moins rapides que les nôtres. A l’heure actuelle, aucun détachement n’est encore parti de Gundiria, il est encore temps de les prendre de vitesse. »
« Vous envisagez sérieusement une invasion armée de la planète général ? »
« Oui Monseigneur. A dire vrai je l’ai préparée depuis notre retour et toutes les simulations de l’état major sont formelles : en l’état actuel des choses, nous ne pouvons que gagner militairement. Une fois nos troupes débarquées et nos chasseurs en orbite, les Zamals ne pourront plus descendre au sol sans déclencher une guerre d’envergure qui est pour eux loin d’être gagnée d’avance. Cela nous donnera le temps de construire ce qu’il faut de batteries anti-spatiales pour les tenir à distance. »
D’un geste, le général Murpugo fait s’allumer les écrans holographique qui s’illuminent tous pour faire apparaître données et simulations de déploiement des forces Arkies sur le sol d’Ankawne.
« J’ajoute que plus le conflit durera, plus nous profiterons d’avantages stratégiques majeurs pour contrer les Zamals. Si nous agissons tout de suite, la partie est presque gagnée d’avance. »
« Général ? »
« Oui Monseigneur ? »
« Je n’ai aucunement l’intention de déclencher une rixe armée avec mes voisins. »
« Je sais Monseigneur. »
« Vous le savez, pourtant voilà quarante-huit heures que vous travaillez sur un plan d’invasion », dit Kenyl en se tournant pour la première fois vers les écrans face à lui, « et vu le détail de tout ce qui vous fournissez et la largeur de vos cernes ce soir, vous avez dû y plancher comme un damné. »
De petits rires méprisants glissent des bouches de quelques convives. Sans qu’ils en soient conscients, Kenyl d’Arkies repère en un clin d’œil ceux qui se gaussent du général et surtout ceux qui ne rient pas.
« Taisez-vous ! »
L’ordre claque et résonne dans la grande salle, faisant instantanément mourir le jeu social qui rendait ridicule Lowis Murpugo. Après une brève seconde de silence où il jauge chacun de ses convives, la voix du seigneur Arkies se fait à nouveau entendre.
« Je vous écoute, général. »
« Je sais que mes chances de vous convaincre sont minces, Monseigneur. Pourtant, nous aurions beaucoup à gagner d’une victoire rapide et militaire sur les Zamals dans le duel qui nous oppose à eux. »
« Développez. »
« Le prestige que nous retirerions de cette victoire serait pour nous un atout majeur dans notre diplomatie extérieure. Depuis la fin de la guerre, notre Grande Maison est déconsidérée par ses pairs sur le plan militaire, nous ne sommes plus crédibles en tant que nation guerrière. »
« Le prestige n’amène pas grand chose, général, à part un réconfort pour l’orgueil blessé. »
« Oui Monseigneur, mais il tient nos ennemis à distance et nous donnera la crédibilité nécessaire pour vendre de nombreux vaisseaux de combat. Une victoire rapide et éclatante nous donnera enfin un statu de Grande Maison avec laquelle il faut compter au sein du Sénat Impérial. En outre, nos vaisseaux spatiaux sont les meilleurs de l’Empire. »
« Pas de fanfaronnade chauviniste, je vous en prie général. »
« Si je puis me permettre, on ne triche pas avec les caractéristiques techniques des appareils, Monseigneur. Il ne s’agit pas de fanfaronnade mais d’un constat : nous avons les meilleurs vaisseaux. Mais ces vaisseaux coûtent cher et déjà de nombreux consortiums des guildes marchandes vous demandent des comptes vis-à-vis des budgets colossaux qui ont été investis depuis des années dans la recherche spatiale. Une preuve par l’exemple de notre supériorité dans l’espace permettrait de justifier toutes ces dépenses. »
« Et l’Empereur, qu’en faîtes-vous général ? Vous pensez sincèrement que notre sérénissime empereur Ma’Kin II qui tient tant à la paix impériale va nous laisser faire ? »
« L’Empereur est dépendant de ses vassaux, Monseigneur. Vos appuis à la cour et vos alliances au Sénat Impérial pourraient avoir vite raison d’une éventuelle vindicte populaire contre notre initiative militaire. Les Zamals n’auront jamais gain de cause si jamais ils en réfèrent au Sénat. »
« Et s’ils en référent à la justice de l’Empereur ? »
« Il est vrai que leurs rapports avec l’Empereur Ma’Kin II sont bien meilleurs que les nôtres, Monseigneur, mais je pense qu’il est crédible de penser que nous pourrons régler tout cela par un jeu d’alliances et de jurisprudence très floue en la matière. »
« Joralie ? »
Prise de cours, la Mage Stellaire ne s’attendait pas à être sollicitée. Elle se remet cependant bien vite.
« Techniquement, c’est plaidable. Ankwane n’appartient à personne, ce qui est un cas à part dans l’Empire. Si jamais il devait y avoir une guerre, ça ne sera pas pour autant une agression des territoires Zamals. Quant aux termes de la compétition qui nous oppose à eux, tout est très flou. Jamais le régisseur impérial Iridian ne nous a interdit d’utiliser la force. »
« Vous oubliez tous un détail majeur. »
Tous les yeux se tournent vers Célia qui vient de parler ; nullement décontenancée, elle poursuit de sa voix envoutante et fluide :
« Entaris Iridian a parlé d’une compétition dont il est, lui, l’arbitre. Il ne s’agit probablement pas de conquérir Ankwane, dont il pourrait nous déposséder si notre action lui déplaît, mais d’être déclarés vainqueurs. Il a en outre parlé d’intelligence, d’habileté et de qualités respectives. Je ne vois rien dans une action militaire qui illustre ces choses. »
Cette fois-ci, c’est au tout de Kenyl Arkies de rire, seul.
« Voilà une parole pleine de sagesse. Général, asseyez-vous s’il vous plaît. »
Murpugo se pose lourdement sur sa chaise, dans l’attente d’une décision. Il a joué son va-tout, il espère que cela suffira.
« Avant toute chose », reprend Kenyl, « il est primordial que rien de ce qui se dit ici ne parvienne aux oreilles de qui que ce soit. Nous aurons une version officielle qui sera rédigée dans la nuit mais personne, je dis bien personne ne dois parler ouvertement de ce qui se s’échange dans cette pièce. Je vais être clair : je ne veux pas la guerre, il n’y aura pas la guerre. Nous ne parlons pas ici d’une acquisition commerciale d’envergure ou d’une nouvelle loi. Nous parlons de guerre. Nous parlons de guerre avec Zarakis Zamal, le héros de la bataille de Pak’toris, le chef d’une Grande Maison au pouvoir militaire au moins comparable au nôtre, si ce n’est plus. Nous parlons de guerre, exercice dans lequel l’histoire nous a appris que nous ne brillons guère, face à une nation qui élève ses enfants dans le culte du héros martial. Vous pensez sincèrement que le seigneur d’une Grande Maison va se contenter d’un coup d’esbroufe comme celle du général Murpugo ? Vous pensez que Zarakis Zamal », et là Kenyl appuya chacune des syllabes du nom de son voisin, « Zarakis Zamal donc va se laisser faire sans combattre, qu’il va aller pleurnicher dans les robes de l’Empereur et se contentera d’un vote du Sénat voire pire d’une décision de justice fomenté par des avocats qu’il exècre et rentrera gentiment chez lui ? »
Le silence qui salue la question ouverte plane un moment dans la salle de réunion puis est anéanti par le bruit de la porte qui s’ouvre. Tous se tournent vers l’entrée de la salle sombre dans un même geste, exception faîte de Kenyl qui lui fait face. S’engouffre d’un pas rapide et le visage fermé le favori du seigneur, Joris Leven.
« Alors ? », lui lance le seigneur Arkies.
« Il a refusé, Monseigneur. », lui rétorque Joris qui s’assied à côté de Célia.
Devant les regards interrogatifs de l’assemblée, Kenyl Arkies devance leur question spontanée :
« J’avais invité le Régisseur Impérial à se joindre à nous ce soir. Mais visiblement il a mieux à faire ou ne désire pas nous aiguiller dans nos recherches. »
« Vous pensez à un piège de l’Empereur, seigneur ? », dit de sa voix calme et rocailleuse Dartas Huji.
La question, lourde sous-entendus et de danger vient définitivement briser le bel élan de confiance collectif qui dominait jusqu’ici.
« Je n’en sais rien Dartas. Peut-être mais ce serait absurde, l’Empereur n’a rien à gagner à nous faire tourner en bourrique. »
« Pourtant le message de son émissaire est très cryptique. Son refus de venir ce soir expliquer plus avant les termes de son petit jeu est une preuve de plus que Ma’Kin II cherche à nous voir patauger dans le brouillard. », rétorque Dartas Huji.
« Je ne sais pas. Mais je sais que nos décisions doivent être mûrement réfléchies. L’œil de l’Empereur est sur nous et les Galaxies savent qu’il tient autant à la paix au sein de l’Empire qu’à nous faire payer d’avoir choisi le camp adverse durant la guerre civile. »
Les paroles du seigneur Arkies plongent tout le monde dans des réflexions songeuses. L’enjeu est capital pour chacun d’entre eux, il y a brusquement beaucoup à gagner et encore plus à perdre dans cette compétition.
« Monsieur Jun ? »
« Monseigneur ? »
« Vous êtes bien silencieux et cela ne bous ressemble guère. Pouvez-vous nous faire partager vos pensées ? »
Ranel Jun, l’homme le plus riche de la Grande Maison Arkies après le seigneur, cesse de jouer avec le briquet en argent qu’il fait danser dans sa main depuis de nombreuses minutes.
« Je ne sais pas si je suis habilité à répondre au genre de questions que tout le monde se pose ici, Monseigneur. »
« Expliquez vous. »
« Je suis un homme d’argent, pas un militaire ni un politicien. Je sais flairer une bonne affaire, fédérer des gens autour d’un projet commun, pas prendre des décisions qui mettent en jeu la sécurité de milliards d’individus. »
« C’est précisément pour cela que vous êtes ici ce soir, Jun, pour nous donner votre regard, un regard neuf et différent. Je vous écoute. »
« Et bien pour commencer je dirai que la technologie des autochtones d’Ankwane est très inférieure à la nôtre. Il serait facile de monter une expédition commerciale là-bas sous couvert humanitaire. Nous apporter bonne technologie à vous, vous gentil avec nous, vous voyez l’idée ? »
« Mesurez la façon dont vous vous adressez à moi, Jun. »
« Pardon, Monseigneur. Ankwane n’est sous aucune autorité, donc aucune juridiction commerciale. Rien ne s’oppose à ce que nous offrions des gadgets technologiques aux locaux afin de nous attirer leur sympathie. Y a-t-il une race extra-terrestre qui vive sur cette planète ? »
C’est au tour de Joralie Kamen, la Diplomate, d’activer l’écran holographique de la table et de prendre la parole :
« Il en existe une, très concentrée sur la portion Nord du continent principal d’Ankwane. Je n’ai pas encore le nom exact mais ce sont des genres d’insectes humanoïdes, des créatures très primitives même par rapport aux indigènes de la planète. »
« C’est un bon point. Aller directement chez ces…créatures pour leur faire cadeau de certains instruments de pointe et en faire la publicité nous ferait gagner le soutient du Comité Extra-Terrestre… »
« D’autant que l’Empereur est très attaché à l’insertion des races non humaines au sein de l’Empire. », renchérie Joralie.
« Hum…une entreprise humanitaire, c’est une idée. », murmure dans sa barbe Kenyl Arkies.
« De plus », renchérit Ranel Jun, « qu’à partir du moment où nous posons le pied sur Ankwane pour ce type de mission nous légitimons la présence d’une force armée dont le but officiel est de protéger nos ressortissants. Il ne s’agirait pas d’une opération militaire mais nous permettrait de prendre position sur place. »
« J’ajoute que ce ne serait pas du luxe, les habitants d’Ankwane sont des gens violents et barbares. Lorsque nous avions le contrôle de la planète, de nombreux ressortissants Arkies ont perdu la vie pour avoir enfreint sans le savoir une de leurs lois bizarres. », dit Joralie Kanem.
« Dîtes plutôt que ces pauvres bougres ont cru bon de se défendre lorsqu’on s’est mis en tête de piller leur planète et de violer leurs femmes. »

Arkies 02 – Zamal 01 (2)

Ambiance musicale : Craig David, Come Together (live)

Le soupir las de Kenyl Arkies accompagne le mouvement des têtes qui se tournent vers Garon Bazir. Il soutient cependant le regard de tous sans ciller.
« Monsieur Bazir ? »
« Monseigneur ? »
« Aurons-nous la chance d’avoir autre chose de vous ce soir que des sarcasmes ? »
« Si tel est votre désir. »
« Il l’est. Parlez. »
« Et bien puisque vous êtes prêts à subir un long monologue dont j’ai l’habitude, je commencerai par dire que nous manquons d’informations. Nous ne connaissons pas Ankwane même si nous avons régné dessus car nous avons à l’époque établi une dictature par la force, bête, imbécile et irresponsable. A aucun moment nous n’avons pris la peine de nous attarder sur les habitants de cette planète ; notre statu sur Ankwane n’est donc ni neutre politiquement ni même favorable car nous n’en connaissons pour ainsi dire rien et que les habitants locaux nous détestent probablement. Ensuite, je dirai que nous ne connaissons pas l’état d’esprit actuel des Zamals et ne pouvons à partir de là que nous perdre en conjectures sans fondement sur leur réaction à nos actions. Je vous encourage donc à faire parler avant toute chose Gerdan Donidas qui est celui d’entre nous qui les connaît le mieux afin de savoir sur quoi tabler. Je dirai pour poursuivre que ce n’est pas Entaris Iridian que j’aurai invité ici ce soir mais Zarakis Zamal lui-même afin de régler ce conflit que l’Empereur cherche de toute évidence à nous imposer ; Ma’Kin II passe pour un abruti pacifiste depuis le début de son règne mais tout le monde sait c’est un politicien de premier ordre et qu’il a été choisi parmi son alliance pour prendre le trône. Il était à l’époque en concurrence avec des gens qui comptent parmi les légendes de cet empire et il a gagné. »
« Qu’essayez-vous de nous dire, monsieur Bazir. »
« Que l’Empereur a remporté son pari de passer pour un être faible alors que c’est un individu excessivement dangereux. Que L’Empereur nous abhorre autant qu’il a de l’affection pour Zarakis Zamal et qu’enfin c’est un émissaire de l’Empereur qui nous impose ce duel absurde pour une planète minuscule qui ne nous amènera aucune richesse car elle en est dépourvue. Vous semblez omettre le fait que nous n’avons presque rien à gagner dans cette compétition et énormément à perdre, ce que l’Empereur verrait d’un très bon œil. »
« Vous rejoignez donc Dartas Huji dans l’idée d’un complot impérial contre nous ? »
« Je ne serais pas aussi romantique, Monseigneur. Mais je vois simplement une situation idiote que vous avez eu beaucoup de plaisir à monter en épingle auprès de la presse sans vous rendre compte que désormais vous êtes forcé de prendre une décision forte qui va dans le sens que Ma’Kin a voulu que vous preniez, soit vous décrédibiliser auprès de votre peuple. »
Le ton de Garon est lourd de reproches à l’adresse de Kenyl Arkies mais la colère froide qui a animé tout son discours a déteint sur tous ceux qui sont présents dans la pièce. Après de longues secondes silencieuses, c’est au tour de Gerdan Donidas de prendre la parole :
« Monseigneur, puis-je parler ? »
D’un geste de la main, Kenyl lui fait signe de poursuivre.
« Les Zamals sont actuellement dans une position inconfortable : Zarakis méprise ouvertement ses enfants directs qui sont selon lui des imbéciles combattifs mais dénués de cervelle. Pour les avoir rencontré personnellement, je peux dire qu’il n’a pas complètement tort. »
« En quoi tout ceci nous concerne-t-il ? »
« Cela ne nous concerne pas directement mais nous intéresse dans le cas présent. Zarakis est vieux, très vieux même pour régner selon les standards Zamals qui se fondent sur le respect de la force ; nombreux sont ceux qui pensent, lui le premier d’ailleurs, qu’il aimerait bien passer le flambeau. »
« Mais il n’a personne pour le remplacer, c’est ça ? »
« Oui Monseigneur. Les Zamals sont des gens tout à fait capables lorsqu’il s’agit de respecter les ordres et d’obéir mais encore faut-il quelqu’un pour donner des instructions. Tout leur système politique, bien plus rigide que le nôtre, repose sur une soumission totale au chef. Si jamais il advenait que Zarakis Zamal disparaisse ou ne puisse participer activement au commandement, ce serait toute la Grande Maison Zamal qui serait paralysée. »
« Parfait, très bien monsieur Donidas mais, encore une fois et au risque de me répéter, en quoi tout ceci nous concerne-t-il ? En quoi les problèmes de succession de ce pauvre Zarakis rentrent-ils en compte dans notre débat ce soir ? Je comprends bien sûr le lien évident qu’il y a avec notre opposition pour gagner Ankwane, mais cela ne nous dit pas concrètement dans quelle direction avancer. »
« Je ne faisais que répondre au souhait de votre conseiller d’en apprendre plus sur les Zamals, Monseigneur. »
« C’est vrai, c’est vrai, excusez-moi. »
D’un geste, Kenyl se lève, commence à faire les cents pas dans la salle de réunion, les bras croisés dans le dos comme à son habitude lorsqu’il est plongé dans une intense réflexion.
« Bon, je suis Zarakis Zamal, je suis vieux j’ai pour moi l’expérience d’une vie de combats. Je suis honni de mes anciens alliés de la guerre civile car je suis le seul qui n’ait pas trop souffert lors du conflit mais je suis aussi celui que l’Empereur favorisera s’il en a l’occasion. Brusquement, l’Empereur me met en compétition avec mon voisin Arkies qui possède une meilleure flotte que la mienne grâce à des avantages technologiques que je ne peux acquérir et mettre en production dans l’immédiat mais qui m’est très inférieure militairement en cas de conflit d’envergure. La source du conflit est une petite planète pauvre et sans ressource dont je me fiche probablement et… »
« Pas du tout Monseigneur. », coupe d’une voix douce mais nette Gerdan Donidas.
« Ha ? »
« Zarakis a toujours été très attaché à Ankwane, pour des raisons sentimentales à ce qui se disait dans son entourage. Cela lui a d’ailleurs été reproché, tout autant que de s’en délaisser avec légèreté d’ailleurs. »
« Je ne comprends pas, il la veut mais la refourgue à un de ses… »
« …vétérans de guerre. »
« Merci, vétérans de guerre dès que l’occasion se présente. Je ne comprends pas. »
« Personne n’a vraiment compris son geste. »
« Alors peut-être qu’il est un peu plus cinglé qu’on ne voudrait bien le dire. », répond Kényl dans un sourire.
« Ou qu’il avait ses raisons et qu’il n’a pas cru bon d’en faire part à quiconque. », ajoute Garon.
« Mais pourquoi, par les Galaxies ? »
« Sentimentalisme. », répond du tac au tac le conseiller du seigneur.
« Vous êtes bien sûr de vous Garon. »
« Si cela n’avait pas été pour une raison intime et personnelle, il s’en serait ouvert à son entourage, il n’est pas du genre à cacher des choses. »
« Bon, bon, soit. Reprenons : la source du conflit est une petite planète pauvre et sans ressources mais à laquelle je tiens sans pour autant chercher à la posséder, aussi absurde que cela puisse paraître et me coûter. Que fais-je, qu’est-ce que j’entreprends pour gagner le duel qui m’oppose à la Grande Maison Arkies ? Quelles seront mes armes, mes moyens de me battre ? Quel sera mon premier geste ? »
« Appeler l’Empereur pour lui demander des explications. » dit d’une voix où le doute n’avait pas sa place Ranel Jun.
« Non », rétorque aussitôt Kenyl Arkies. « Jamais de la vie. Zarakis est d’une obéissance totale envers Ma’Kin II, jamais le simple fait de remettre en question la légitimité de cette compétition ne lui traversera même l’esprit. L’Empereur pourrait lui prendre la moitié de ses territoires, ce vieux cinglé serait même capable de dire merci. Non, non, à mon avis il doit voir ça comme un test ou une connerie virile et forte de ce goût-là. »
« Envoyer des troupes ? », dit Dartas Huji.
« Possible, ce serait une réponse Zamale classique mais en bon chef de guerre, il n’ira pas s’il ne peut pas promettre une compensation financière à ses ministres. Les moteurs des vaisseaux Zamals sont d’antiques machines à fission, organiser un déplacement de troupe coûte horriblement cher en carburant pour eux. Je pense que Zarakis ne pourra pas se payer le luxe d’envoyer son armée car il n’a rien à gagner sur Ankwane. C’est trop pauvre ! Il ne peut pas se pointer la bouche en cœur face à son état-major et dire qu’on va dépenser le tiers du budget de l’armée de l’année en cours pour un élan sentimentaliste ! Ça ne passera jamais ! »
Kenyl Arkies ouvre grand les bras, les yeux rivés au sol. L’émotion que génèrent ses réflexions le laissent comme à l’accoutumée perdu dans ses mondes intérieurs, sans aucune volonté de communiquer pleinement avec ses interlocuteurs.
« Se faire reconnaître et choisir par la population locale ? »
Le ton de Célia autant que la question laisse l’assemblée pantoise. C’est Joralie la première qui rétorque :
« Vous pensez qu’il va tenter de provoquer un mouvement de foule pour nous chasser ? »
« Non. Je pense qu’il aime beaucoup cette planète ; je pense à ce titre qu’il possède une affinité forte avec ses habitants, peut-être de nombreux alliés locaux, des gens déjà gagnés à sa cause. »
« Cela ne fait pas gagner les guerres ma fille, face à des canons lasers… »
« Et s’il n’y a pas de guerre, père ? Et si l’épreuve que cherche à nous faire passer Entaris Iridian n’était pas justement de nous juger non pas sur ce en quoi nous excellons mais ce que nous sommes à même de dépasser dans nos habitudes ? »
« Je ne comprends rien à ce que vous racontez, mademoiselle. », rétorqua d’un ton dur Ranel Jun.
« Moi si », lui répondit Joris Leven, le regard lourd de reproches vis-à-vis du ton tranchant que l’homme d’affaire avait utilisé pour s’adresser à Célia. « Ce que Mademoiselle Arkies veut dire c’est qu’il est tout à fait crédible de penser que l’émissaire impérial Iridian sait que notre premier réflexe est de prendre les armes pour aller au plus simple et au plus rapide. Il sait que l’invasion militaire est l’option que nous prendrons, comme les Zamals d’ailleurs. Sans cela, il nous aurait simplement signifié par un mandat sa décision et les règles du jeu. »
« Parce que c’est un jeu pour vous ? », s’exclame Gerdan Donidas.
« Je vais garder pour moi ce que je pense de tout ceci mais dans l’esprit de notre brave Planétologue, je le pense oui », rétorque Joris dans un sourire. « Je pense que nous jouons effectivement un jeu de dupes avec l’Empereur et qu’il nous faut avancer prudemment comme l’a si bien rappelé notre seigneur. Je pense qu’il n’est pas exclu qu’une tentative d’invasion nous disqualifie d’entrée de jeu dans la compétition. Je pense que la guerre est le moyen le plus simple de gagner et c’est pourquoi nous ne devons pas l’utiliser. Je pense qu’Entaris Iridian, malgré son âge et sa prétendue inexpérience diplomatique savait exactement ce qu’il faisait en nous rassemblant sur Ankwane. »
« C’est à dire, jeune homme ? », lui dit d’un ton lourd Ranel Jun qui n’avait visiblement pas digéré d’avoir été interrompu par le favori du seigneur Arkies.
« C’est assez simple : serions-nous en train d’avoir ce conseil extraordinaire s’il avait agi différemment ? La réponse est sûrement non. Notre seigneur se serait contenté d’une décision plus expéditive, prise en commun avec le conseiller de son choix ou seul, et l’histoire aurait pu s’arrêter là. Par sa volonté expresse de marquer le coup, de donner de la valeur à cette compétition, Entaris Iridian nous force à lui donner de l’importance. »
« Et donc !? »
« Et donc, nous ne pouvons aboutir qu’à ce que viens de découvrir Mademoiselle Arkies : il n’y aura pas de guerre. Entaris ne veut pas la guerre, l’Empereur ne veut pas la guerre mais ils ne peuvent pas le dire car ce serait un aveu de faiblesse et d’ingérence. Décider arbitrairement du sort d’Ankwane aurait donné une raison à la Grande Maison perdante d’en vouloir à sa rivale ; autoriser aux Arkies ou aux Zamals à avoir une latitude totale dans le conflit pour Ankwane nous aurait fatalement amené à une confrontation armée, même minime, à un moment. Sachant tout cela, Iridian fait la seule chose qui soit à sa portée : rassembler tout le monde dans un face à face sentencieux tout en rappelant bien qu’il nous surveille. Nous agissons donc en conséquence c’est à dire avec prudence en concluant que toute attaque sur Ankwane est fatalement destinée à se muer en échec et pour la compétition en cours et pour notre sécurité. De fait, nous ne pouvons que suivre le cours des choses, c’est à dire nous engager sur une lutte pacifique pour Anwkane. »
« Déterminisme primaire, je reconnais bien là l’influence de vos lectures harnidiennes, monsieur Leven », lui assène Joralie.
« Vous dîtes cela par ce que c’est le fond de votre pensée ou parce que vous ne l’avez pas déterminé avant moi, madame ? »
« Ça suffit, vos jérémiades n’amènent rien », dit d’un ton las Kenyl Arkies. « Monsieur Leven, nous expose longuement ce qu’on peut résumer en une phrase : nous sommes prisonniers du bon vouloir de l’Empereur. Nous ne pourrons rien tenter tant que les règles du jeu d’Entaris Iridian ne sont pas plus claires et que nous ne savons pas à quel point les Zamals sont prêt à se lancer dans la course. Pour l’heure, nous nous contenterons d’envoyer la mission humanitaire dont nous avons parlé initialement ; elle sera accompagnée du minimum de troupes régulières et d’un maximum d’espions dont le but ne sera bien sûr pas d’enquêter sur la population locale mais sur les faits et gestes des Zamals. Madame Kanem, seriez-vous disposée à prendre le commandement d’une telle expédition ? »
La mages Stellaire ne s’attendait pas à une prise de décision aussi brusque et encore moins à être désignée directement responsable des opérations.
« Bien sûr Monseigneur, si tel est votre désir. »
« Alors je déclare cette réunion est terminée. Mesdames, Mademoiselle, Messieurs, je vous souhaite une bonne soirée. »
D’un geste de la main, le seigneur Arkies fait signe à tout le monde de sortir. Tous viennent le saluer avant de prendre congé par la porte unique qui mène hors de la salle sombre. Comme le veut le protocole, Kenyl Arkies les raccompagnent sur le perron, attendant que chacun soit monté dans son véhicule respectif pour rentrer au sein du palais seigneurial. Il arpente ensuite en silence les immenses couloirs du palais aux couleurs vives et à l’ornement raffiné, passe par plaisir dans la salle des miroirs dans laquelle il aimait tant jouer étant enfant, rejoint un salon de réception et entre dans un petit fumoir garni de riches tapis et d’immenses bibliothèques. Des fauteuils antiques, faits de bois laqué sombre et de velours semblent y attendre les heureux élus qui passeraient les portes de la salle pour y trouver un moment de détente. C’est bien sûr ici que l’attend, un verre d’alcool à la main et le visage autrement plus détendu que tout à l’heure, Garon Bazir.
Ils n’e s’échangent qu’un sourire mutuel, le temps que Kenyl se serve à boire lui aussi et ne s’asseye rituellement dans le fauteuil qui fait face à son conseiller. Comme d’ordinaire, c’est le seigneur qui commence :
« Alors ? »
« Il se défend bien, ton petit protégé. Je ne connais pas dix personnes sur cette planète capable de tenir tête avec autant de fermeté à Jun et consort. »
« Les générations futures ne naîtront pas nues mais parées de tout ce que leurs ancêtres ont accomplis par le passé. Le chemin parcouru par nos aïeux n’est plus à faire mais nous ne devons pas oublier que nous marchons dans leurs pas. »
« Ce sont là les mots d’Avraham. Mais c’est vrai qu’ils sont très adaptés à la situation présente. »
« Ces mots guident ma vie, Garon. »
« Avraham est mort, Kenyl. L’idéal que nous poursuivions durant la guerre d’instaurer une république à la place de cet empire féodal a disparu avec lui. »
« Je sens un rien d’amertume et de reproches… »
« Peut-être. Je n’ai jamais trop aimé les visions de notre ancien leader sur les générations futures. »
« Tu n’y crois pas ? »
« Si, mais ça me fait sentir encore plus vieux que je ne le suis. »
Les deux partent d’un même rire complice. Dans cette salle, il n’y a pas de jeu à jouer, pas de tensions à inventer pour détourner l’attention et éventer les complots. Garon reprend :
« Joralie est avec Jun, j’en suis persuadé. Elle a montré trop de soutient ouvert à ses idées pour qu’il en soit autrement. »
« C’est une Diplomate, Garon, une Mage Stellaire spécialisé dans le jeu social et le mensonge. »
« Certains signes ne trompent pas. Mise dos au mur, c’est vers lui qu’elle se tourne, lui dont elle prend le parti. »
« Tu la fais suivre ? »
« Evidemment. Pourquoi crois-tu que mon service d’espionnage engloutisse autant de crédits ? »
« Pour te payer des gonzesses et du whisky ? »
« Couillon…la seule que j’ai envie de voir en ce moment, c’est Phanelle et je crois qu’elle en a ras le bol que son abruti de mari lui impose une abstinence forcée pour cause de surmenage professionnel. »
« Et les autres ? Qu’est-ce que tu as vu ? »
« La même chose que toi : la guerre. Elle est dans toutes leurs têtes, elle pointe son nez dès qu’on leur lâche la bride une seconde. Sans notre petit numéro de ce soir, Murpugo était prêt à lâcher l’armada complète sur une planète sans défenses. »
« Pourquoi Garon, pourquoi veulent-ils cette bataille insensée face au vieux Zarakis ? »
« Parce qu’ils ont perdu la Guerre Civile, Kenyl, voilà pourquoi. Parce qu’un beau jour Ma’Kin II a tué Avraham dans le secteur de Pak’toris, que ce jour-là l’alliance Arkies-Deck-Falgan-Galiossa a perdu son chef et que nous avons capitulé lorsque le camp adverse nous a proposé une reddition acceptable après huit ans de conflit. Parce que l’amertume d’avoir été placé dans le camp des vaincus est intolérable et qu’il faut laver cet affront plutôt que de vivre avec la honte. »
Kenyl vide son verre à petites goulées, les yeux perdus dans la rue que l’on voit d’ici. Après un moment d’intense réflexion, il ajoute :
« Qui sera pour la guerre ? Qui va faire en sorte que nous affrontions les Zamals ? »
« Murpugo, évidemment. Jun, j’en suis certain. »
« Pourquoi lui ? C’est un homme d’affaire pas un militaire. »
« Parce que tu ne la veux pas : en se plaçant dans le camp adverse, quelques soient les causes à défendre, c’est bon pour lui. En se désignant comme un va-t-en-guerre, il va canaliser tous ceux qui pensent qu’une action forte doit être prise et fédérer tes opposants. »
« Il va y parvenir ? »
« Une bonne partie des milieux d’affaire lui mangent dans la main, il a des alliés bien placés dans les ministères… »
« Va-t-il y parvenir ou non, Garon ? »
« Pas pour le moment, les gens vont trop bien pour avoir envie de conflit ou se désolidariser de toi. Mais si notre économie devait subir un ralentissement quelconque, il gagnerait très vite des voix. »
« Qui d’autre ? »
« Joralie, pour moi c’est clair. »
« Quand je pense que c’est avec l’argent des impôts qu’elle a suivi toute sa formation de magicienne et qu’elle a fini son enseignement à Myraguill. »
« Où elle a échoué aux examens finaux. »
« Quoi ? »
« C’est un ami à moi qui a fini par avoir l’info. Elle n’a jamais terminé son cursus là-bas. »
Kenyl explose de rire. Joralie Kanem, celle qui raconte partout qu’elle est sortie avec les honneurs de la plus grande école de Mages Stellaires de l’Empire, serait une petite menteuse qui a échoué et l’aurait caché à tout le monde !
« Mais comment elle a fait pour que ça ne sache pas ? Tous les Mages Stellaires de sa promotion doivent le savoir, non ? »
« Les magiciens de son époque sont tous morts, Kenyl. Ceux qui ont survécus à la guerre se cachent car ils étaient presque tous dans le camp d’Avraham. Rien que dans notre cadran Sud-Est, il n’y a guère que Dartas Huji pour avoir été à Myraguill. »
« La petite félonne… »
« Il n’y a pas de honte à échouer aux examens de Myraguill. »
« Rater le concours le plus prestigieux des galaxies, non, il n’y a pas de honte. Mais me faire payer l’argent qu’elle me fait sortir tous les mois pour ses services grâce à son titre, ça oui ! »
Hilare, probablement autant par la révélation que par l’alcool, Kenyl se lève pour aller se resservir. Philosophe, il revient avec la bouteille et rempli d’autorité le verre de son conseiller.
« Et Dartas ? C’est un vrai, lui ? »
« Dartas est un vrai, il n’a pas menti sur son cursus. Et mieux vaut qu’il soit de ton côté si jamais la guerre éclate. »
« Il veut la guerre ? »
« Tu as vu comme il regardait Rin Eilov sur Ankwane ? »
« Le Duelliste Zamal ? Non. »
« Moi oui ; et je peux te dire que ces deux-là doivent avoir une sacrée histoire commune pour se détester autant. »
« Hum…le Duelliste contre le Faucheur, sacré programme. »
« Si ce n’est que contrairement à toi, Zarakis est certain, lui, de la loyauté de son Mage Stellaire. »
« Tu crois que Dartas travaille toujours pour la Maison Rechag ? »
« Difficile à dire, je n’ai pas encore suffisamment d’infos sur lui. Mais tu connais mon point de vue sur la question. »
Ho oui il le connaissait : Garon avait toujours hurlé lorsqu’il avait appris la décision de Kenyl d’accueillir au sein de sa garde un Faucheur, un Mage Stellaire issu des rangs de la Grande Maison Rechag. Outre le fait qu’elle était dans le camp adverse durant la guerre, la Grande Maison Rechag s’était faite une spécialité dans l’assassinat et le meurtre ; et ses meilleurs éléments pour ce faire étaient ses Mages Steallaires emblématiques, les Faucheurs. Celui-ci cherchait visiblement un refuge pour s’abriter de ses anciens confrères mais son parcours et sa puissance avait terrifié Garon depuis le premier jour : si jamais il prenait l’envie à Dartas Huji de décimer la famille seigneuriale, personne n’aurait la puissance de l’en empêcher. La seule à avoir un niveau comparable était Joralie mais Joralie était une Diplomate, pas du tout une Mage Stellaire de combat. Qui plus est, elle n’avait pas obtenu son diplôme de Myraguill, contrairement à Dartas. Déjà qu’à armes égales elle était donnée perdante, si en plus elle était moins forte que ce qu’elle prétendait être…Restait Kamal, le psi surdoué. Lui avait une chance.
« Bien, on y voit déjà un peu plus clair. Donidas ? »
« Visiblement, il est complètement étranger à toute machination. Il ne comprend rien à ce qui se joue entre toi et Jun. »
« C’est bon à savoir. »
« Ça ne veut pas dire qu’il est de ton côté. »
« Non, mais j’aime bien ce mec-là. Ça m’aurait peiné de le savoir contre moi. »
« Autre chose : ça ne te gêne pas de savoir que Joris Leven tourne autant autour de ta fille ? »
« Tu ne l’aimes pas, hein, mon petit Joris ? »
« Non. Il est suffisant, snob et imbu de lui-même. »
« Mais il se défend bien, tu l’as dis toi-même. »
« C’est vrai. Mais il veut ta fille. »
« Et le pouvoir ? »
« Non, ça je pense qu’il s’en fout pour l’instant. Je crois qu’il veut juste la mettre dans son lit ; le reste attendra. »
« Je ne peux pas vraiment lui en vouloir. »
« Ça veut dire que tu es d’accord ? »
« Je n’ai pas à interagir avec les décisions amoureuses de ma fille, Garon. Elle est suffisamment maligne pour savoir à quoi s’en tenir avec les garçons. »
« Tu parles comme si elle avait quinze ans. »
« Qu’est-ce que tu veux que je te dise ? Tu verras quand ta gamine aura cet âge-là… »
« Vu qu’elle fête ses huit ans le mois prochain, j’ai encore de la marge. »
« C’est vrai ! Il faut que je pense à un cadeau…»
« On verra le moment venu. »
Garon baille brusquement à s’en décrocher la mâchoire. Kenyl en profite pour taper d’un même geste sur ses deux cuisses avant de se lever dans un brusque élan d’énergie.
« Allez, il tard et je te fais bosser plus que je ne devrais en ce moment. »
« Oui, excuse moi, j’ai pas mal d’heures de sommeil en moins au compteur. »
« Rentre chez toi, ne te fais pas tuer et embrasse Phanelle et tes gosses pour moi. »
« Oui, seigneur, à vos ordres seigneur. »
« Oh, ta gueule. »
Ils sortent en silence du fumoir, passent dans les salles que le seigneur Arkies a longé pour venir jusqu’ici. Sur le perron du palais, la voiture personnelle de Kenyl attend de ramener Garon Bazir chez lui. Il descend quelques marches après la poignée de main ferme et amicale de circonstance, s’arrête, se retourne.
« Kenyl ? »
« Oui ? »
« Il y a aura la guerre Kenyl. Malgré toi, malgré tout ce que tu pourras y faire. Règle ce conflit au plus vite, rencontre Zarakis, négocie. Mais fait le vite avant que le cours des choses ne s’accélère et qu’on ne contrôle plus rien. »
« Va, rentre chez toi, oiseau de mauvaise augure. Mais j’entends ton conseil. Bonne nuit Garon. »