Ambiance Musicale : Ike & Tina Turner, Rolling on the river
« Que dit Garon de ce rendez-vous sur Ankwane ? Sait-il ce qui nous attend là-bas ? »
« Garon ne sait pas tout. »
« Non, mais il est le seul qui ait grâce à vos yeux, père. »
« Ne veux-tu pas plutôt savoir ce que j’en pense moi plutôt que mon conseiller ? »
« Vous êtes jaloux, père ? »
« Un peu ma fille. J’en ai assez que tout le monde pense que je ne suis qu’un imbécile bougon qui se contente de faire tout ce que son précieux Garon Bazir lui dicte. »
« Est-ce votre cœur qui parle ? Je croirai entendre plutôt un reproche de ma mère. »
« Peut-être bien. A dire vrai, ni Garon ni moi ne savons vraiment ce qu’il va advenir une fois que nous serons sur cette maudite planète mais nous serons assez vite fixés. Ma méfiance proverbiale me dicte de prendre garde à cet ordre impérial, aussi brusque qu’unilatéral. »
« Qu’avons-nous à craindre ? »
« En théorie pas grand-chose. Nous n’avons commis aucun crime envers l’Empereur, nous sommes puissants et il a besoin de nous. »
« Mais ? »
« Mais la forme c’est le fond qui remonte à la surface ma fille. », répond Kenyl, brusquement plus grave. « La façon dont le message nous ordonnant de nous rendre sur Ankwane n’était ni fin politiquement ni ne laissait de place à la discussion. Je pense que l’Empereur, par la voix de son régisseur, cet Entaris Iridian, va nous imposer quelque chose par la force. Espérons simplement que notre brave Planétologue ne se mette pas à faire pousser des plantes partout dans notre vaisseau sinon l’Empereur lui-même entendra parler de moi. »
Célia pouffe de rire à nouveau mais rien ne vient dérider le visage désormais austère de son père. L’imminence de leur arrivée sur Ankwane est venue raviver ses angoisses quant à la sécurité de ceux qu’il a emmené avec lui. Si ceux qui sont présents dans le vaisseau venaient à mourir, ce serait la tête même de la Grande Maison Arkies qui serait instantanément décapitée. Et puis, même s’il rechigne à l’admettre, sa discussion avec Célia a fait surgir en lui des images qu’il aurait voulu oublier à jamais, celle de ses fils tout bébés qu’il tient dans ses bras, la sensation de leur peau dans ses grosses mains, leur odeur de nouveau-né, leurs gestes maladroits qui sont autant d’occasions de s’attendrir. Kenyl se souvient de chacun d’eux très précisément, bien plus qu’il ne l’aimerait. Sa décision de se séparer d’eux a été pour lui un déchirement, comme la section d’une portion de lui-même. Pas un jour ne passe sans qu’il ne pense à eux, aussi futiles que fussent ses remords désormais.
D’un coup, une vive animation semble émaner de la cabine de pilotage du vaisseau. Un homme de bord arrive au pas de course, salue le seigneur d’un geste impeccable.
« Une communication du régisseur impérial Entaris Iridian vous attend, Monseigneur. Le régisseur impérial dit que c’est très urgent. »
Kenyl hoche la tête, lassant ses sombres pensées refluer dans les méandres de son esprit pour se focaliser sur les évènements à venir. Enfin, on y était ! Place à l’action et aux révélations désormais. D’un pas vif, qui se veut rassurant pour le reste de l’équipage qui n’a rien perdu de l’importance de l’échange, Kenyl suit le navigateur jusqu’à la salle de commande du vaisseau spatial. Dans sa tête, mille possibilités s’échafaudent, mille façons d’y remédier également. Il parvient enfin jusqu’au communicateur central, seule pièce d’équipement capable d’établir une liaison vocale et visuelle à des distances planétaires. Sans hésitation, le seigneur de la Grande Maison Arkies presse le bouton qui initie la conversation, regrettant trop tard que Garon Bazir ne soit pas à ses côtés pour cet entretien.
Le corps d’Entaris Iridian lui apparaît immédiatement sous forme d’image holographique. Outre son habit, désormais célèbre, de Planétologue, rien ne semble distinguer le régisseur impérial de tout autre habitant de l’empire : il est jeune, cheveux bruns coupés courts, la stature droite. Mais déjà son visage est marqué par une détermination qui n’échappe pas à Kenyl.
« Mes respects, seigneur Arkies. », tonne la voix d’Entaris, pleine de force aux oreilles du seigneur.
« Que la grâce de l’empereur soit avec vous, régisseur Iridian. », répond sans se laisser décontenancer Kenyl, selon la formule consacrée des Arkies à l’adresse de l’empereur ou d’un des ses agents.
« Je me permets de vous contacter pour vous signifier un changement du lieu de rendez-vous, seigneur Arkies. Vous n’aurez pas besoin de débarquer sur Ankwane même mais sur une plateforme spatiale qui gravité désormais en orbite autour de la planète. Mes hommes vous ont déjà transmis les coordonnées d’arrivée. »
« Je vous remercie, régisseur Iridian. Puis-je néanmoins m’enquérir de la raison de ce brusque changement, voire de la raison de ce rendez-vous tout court ? »
« De telles explications seraient trop longues à vous fournir à l’heure actuelle. Vous serez informés de tout lors que vous arriverez sur la plateforme impériale. »
« Bien, régisseur Iridian. Qu’il en soit ainsi. »
Ainsi c’est donc lui, ce fameux monstre à peine sorti de ses études qui va décider de notre sort, se dit Kenyl pour lui-même en fermant la communication. Au moins n’a-t-il pas l’air de vouloir du sang ou quoi que ce soit de trop désagréable.
« Dans combien de temps seront en vue de notre destination, capitaine ? », demande Kenyl.
« Quelques minutes à peine, Monseigneur. Dois-je prévoir une procédure d’urgence particulière ? »
« Y a-t-il quoi que ce soit qui puisse bloquer notre fuite éventuelle capitaine ? »
L’homme qui se tient à droite du seigneur Arkies ne peut réprimer un sourire de fierté à cette question.
« Non, Monseigneur, pas à ma connaissance. Nous possédons sur ce vaisseau l’équipement nécessaire pour bloquer tous types de rayons paralysants. Même un tir EMP ne parviendrait pas à déstabiliser nos systèmes. »
Souriant, Kenyl tapote sans tourner les yeux vers lui l’épaule du capitaine du vaisseau, visiblement rasséréné. Hésitant un instant, le seigneur Arkies se demande s’il est plus sage de retourner auprès des siens ou s’il faut rester ici afin de parer à toute éventualité. Il décide finalement de s’asseoir sur aux côtés de l’équipe de navigation, regardant du coin de l’œil les soldats dans leur labeur quotidien. Il note les sourires nerveux des opératrices, le regard très concentré du navigateur qui fait du mieux qu’il peut pour paraître affairé, les responsables des boucliers qui se partagent la répartition des défenses sur l’ensemble de la coque. Mais l’étude factice de ces petits moments de vie n’arrive pas à ancrer l’esprit de Kenyl dans le présent. A nouveau, ses souvenirs refluent vers la naissance de ses fils, l’affection déferlante qui l’a étreint au moment de les prendre dans ses bras la première fois, les yeux de sa femme lorsqu’elle étalait le regard sur eux, lui qui pose ses lèvres sur leur joue toute rose, les petites mains qui agrippent ses gros doigts…
« Monseigneur ? »
Brusquement sorti de sa rêverie qui lui tire malgré lui des larmes aux yeux, Kenyl Arkies redresse la tête en prenant une grande inspiration qui fait refluer ses effusions lacrymales.
« Monseigneur, nous sortons d’hyper-lumière dans moins d’une minute. », lui lance l’une des opératrices de bord.
La gorge nouée, Kenyl est incapable de répondre et se contente de hocher la tête. Il fixe l’horizon spatial, se concentre furieusement vers le potentiel danger à venir pour éviter de replonger dans ses souvenirs sensitifs qui le blessent un peu plus profondément à chaque fois. Face à lui, il n’y a pour l’heure que le conduit de couleur jaune caractéristique des voyages en hyper-lumière. Dans l’expectative, il attend fébrilement le passage dans l’espace non comprimé, celui qui lui révèlera ce qui l’attend à la fin de son voyage vers Ankwane, ce fameux rendez-vous auquel l’a convié Entaris Iridian, voix et juge de l’Empereur.
Le changement vient d’un coup, sans prévenir. Il coupe toute répartie au sein de l’équipage. Personne ne remarque la petite station spatiale dans laquelle doit se dérouler la réunion au sommet entre Arkies, Zamals et agents de l’empire. Nul ne cherche même à regarder les radars qui pourraient révéler la présence d’éventuels vaisseaux en camouflage optique. Tous n’ont d’yeux que pour le vaisseau déjà amarré à la station orbitale, superbe bâtiment noir, long et effilé, prétendument unique, que tous dans l’empire connaissent.
Au cri du seigneur Arkies, tous ceux qui discutent légèrement dans la cabine réservée aux passagers se figent, se lèvent et accourent, remplissant brutalement la cabine de pilotage dans un concert chaotique de voix discordantes. Voix qui meurent toutes, les unes après les autre, devant le spectacle qui s’étale devant eux. Amarré au port spatial, se tient la seconde plus grande légende de l’histoire de l’empire, le monument qui a marqué la renaissance de l’Humanité, la cristallisation de tous les rêves des Hommes, le vaisseau du Prophète Avraham, la Nuée Stellaire. Sur sa coque qui a nourri l’imaginaire de toute créature consciente vivant dans les limites de l’empire, on peut voir à l’œil nu les impacts des batailles spatiales auxquelles il a participé et dont il est toujours sorti vainqueur. La Nuée Stellaire, le vaisseau amiral du camp Arkies-Deck-Falgan-Galiossa, celui qui a battu avec une poignée de fidèles l’élite des Grandes Maison Rim et Rechag lors de la bataille de Hockten IV, celui qui a vaincu le feu des cinq plus grandes armées de l’empire de Malik IV. La Nuée Stellaire, dont le simple nom faisait trembler de peur les ennemis du Prophète, fidèle navire cosmique du plus grand mage stellaire ayant vécu à ce jour et dont la révolte secoue encore le cœur des Hommes dans leurs plus intimes retranchements. Ce vaisseau, fer de lance du camp d’Avraham durant la guerre civile, celui dont on vend encore des centaines de répliques en miniatures sur la moindre planète provinciale est ici, face à eux.
Dans un silence religieux, l’entourage du seigneur Arkies, se rempli de cette vision divine, celle qu’ils ont invoqués au cours de leur lutte pour la liberté lorsque le courage venait à leur manquer, celle à laquelle ils on voué leurs prières lorsque tout semblait perdu au cœur de la lutte. L’image de ce vaisseau qui surgissait du néant pour porter secours à ceux que l’espoir avait délaissé est chargée de trop d’émotion pour que quiconque ne se risque à briser ce moment de pure contemplation. Ce navire spatial, ce fut pour eux leur symbole, un espoir tangible, un rêve éveillé. Et le voici, surgissant face à eux, comme un vieil ami que l’on retrouve par surprise. L’émotion est visible sur chacun de leurs visages, la joie se mêlant au senti profond de trahison de le voir aujourd’hui dans les mains d’un suppôt de l’empereur.
Plus le vaisseau seigneurial Arkies s’approche du point de rendez-vous, plus le sentiment s’intensifie. On peut maintenant voir sans peine les canons qui furent en leur temps à la pointe de l’ingénierie Kurkiv, les réacteurs Galiossas, le blindage Bankto…véritable syncrétisme de tout ce que l’empire, humain ou non, avait de mieux à offrir, la Nuée Stellaire trône encore dans l’esprit de tous comme l’appareil ultime, le vaisseau invincible que même la coalition de Ma’Kin II n’a pas réussi à détruire lors de la bataille de Pak’Toris. Au plus profond du cœur des perdants de la guerre civile, ce vaisseau reste la preuve qu’ils n’ont pas tout à fait été vaincus, qu’il reste encore un bâtiment jamais défait qui pouvait continuer à se battre pour leurs idéaux si le besoin s’en faisait sentir.
A la stupeur de la surprise, succède désormais les gestes rituels, les signes religieux, les mains qui se joignent, les consciences qui s’unissent pour tendre vers le souvenir de celui qui fut leur héros à eux tous, Avraham, le Prophète de l’Humanité. Célia ouvre ses grands yeux bleus qui semblent ne jamais cligner des paupières de perdre un infime instant du spectacle, Ethania pleure à chaudes larmes, Dartas se signe les deux mains tendues vers l’avant, Joralie agrippe un pendentif caché sous les plis de sa robe, Murpugo est au garde à vous. Seul Kenyl Arkies ne se soumet pas à ces petits gestes chargés de superstition : ce n’est pas tant la vision du vaisseau qui lui a arraché un cri quelques instants plus tard, c’est l’illusion fulgurante qu’Avraham, son ami, puisse être encore en vie, qu’il sortirait de son vaisseau avec sa spontanéité déconcertante pour venir le saluer. Mais Avraham est mort, il a perdu la vie dans son duel avec Ma’Kin lors de la bataille de Pak’Toris, la plus terrifiante que l’humanité ait orchestrée depuis le début de la guerre spatiale. Même Kenyl, qui pendant des semaines avait refusé d’accepter l’évidence, avait dû se résoudre à l’admettre.
Et voilà que la Nuée Stellaire, perdue depuis la fin de la bataille qui a marqué la fin de la guerre, réapparaît, et avec elle l’espoir, fou, de la survie d’Avraham. Dans les yeux de Kenyl danse le souvenir de leur dernière poignée de main, le dernier sourire échangé, la dernière parole, la dernière vision de cet homme hors normes qui s’éloigne vers son destin. Puis, sans prévenir, une émotion froide se déverse dans les veines de Kenyl Arkies, douchant toute la chaleur que la vision du vaisseau du Prophète avait générée. Il n’est pas là, Avraham n’est pas ici. Il est bien mort face à Ma’Kin il y a douze ans. La présence de son vaisseau ici amarré à la station spatiale de l’empereur me prouve que rien ne reste de lui désormais : toutes les reliques de son ascension appartiennent désormais à ses ennemis. Il nous faut vivre seuls désormais, sans la douce certitude qu’il apportait à nos vies ; sans lui.
Revenu à ses esprits, le seigneur prend les commandes du vaisseau que plus personne ne pense à contrôler. Comme tout Arkies digne de ce nom, Kenyl est un grand pilote ; mais même le meilleur pilote de la galaxie ne peut pas diriger un vaisseau de cette taille à lui seul. De pressions rapides et contrôlées, Kenyl activent les systèmes de pilotage automatique, abaissent graduellement la densité des boucliers afin que ceux-ci n’entrent pas en collision avec ceux de la station orbitale, gère la puissance des réacteurs. Avant que sa suite ou le personnel de bord ait pu totalement sortir de leur hébétude, le vaisseau Arkies est sagement amarré au pont de la station.
Sitôt le bâtiment seigneurial à l’arrêt, Kenyl Arkies se lève, semblant réinsuffler la vie à tous ceux qui se sont pressés dans la cabine de pilotage. Il les toise d’un regard sans failles, semblant les jauger les uns après les autres.
« Allons-y », dit-il de sa voix claire et, sans autre forme de procès, Kenyl Arkies se dirige vers la sortie.
« Garon ne sait pas tout. »
« Non, mais il est le seul qui ait grâce à vos yeux, père. »
« Ne veux-tu pas plutôt savoir ce que j’en pense moi plutôt que mon conseiller ? »
« Vous êtes jaloux, père ? »
« Un peu ma fille. J’en ai assez que tout le monde pense que je ne suis qu’un imbécile bougon qui se contente de faire tout ce que son précieux Garon Bazir lui dicte. »
« Est-ce votre cœur qui parle ? Je croirai entendre plutôt un reproche de ma mère. »
« Peut-être bien. A dire vrai, ni Garon ni moi ne savons vraiment ce qu’il va advenir une fois que nous serons sur cette maudite planète mais nous serons assez vite fixés. Ma méfiance proverbiale me dicte de prendre garde à cet ordre impérial, aussi brusque qu’unilatéral. »
« Qu’avons-nous à craindre ? »
« En théorie pas grand-chose. Nous n’avons commis aucun crime envers l’Empereur, nous sommes puissants et il a besoin de nous. »
« Mais ? »
« Mais la forme c’est le fond qui remonte à la surface ma fille. », répond Kenyl, brusquement plus grave. « La façon dont le message nous ordonnant de nous rendre sur Ankwane n’était ni fin politiquement ni ne laissait de place à la discussion. Je pense que l’Empereur, par la voix de son régisseur, cet Entaris Iridian, va nous imposer quelque chose par la force. Espérons simplement que notre brave Planétologue ne se mette pas à faire pousser des plantes partout dans notre vaisseau sinon l’Empereur lui-même entendra parler de moi. »
Célia pouffe de rire à nouveau mais rien ne vient dérider le visage désormais austère de son père. L’imminence de leur arrivée sur Ankwane est venue raviver ses angoisses quant à la sécurité de ceux qu’il a emmené avec lui. Si ceux qui sont présents dans le vaisseau venaient à mourir, ce serait la tête même de la Grande Maison Arkies qui serait instantanément décapitée. Et puis, même s’il rechigne à l’admettre, sa discussion avec Célia a fait surgir en lui des images qu’il aurait voulu oublier à jamais, celle de ses fils tout bébés qu’il tient dans ses bras, la sensation de leur peau dans ses grosses mains, leur odeur de nouveau-né, leurs gestes maladroits qui sont autant d’occasions de s’attendrir. Kenyl se souvient de chacun d’eux très précisément, bien plus qu’il ne l’aimerait. Sa décision de se séparer d’eux a été pour lui un déchirement, comme la section d’une portion de lui-même. Pas un jour ne passe sans qu’il ne pense à eux, aussi futiles que fussent ses remords désormais.
D’un coup, une vive animation semble émaner de la cabine de pilotage du vaisseau. Un homme de bord arrive au pas de course, salue le seigneur d’un geste impeccable.
« Une communication du régisseur impérial Entaris Iridian vous attend, Monseigneur. Le régisseur impérial dit que c’est très urgent. »
Kenyl hoche la tête, lassant ses sombres pensées refluer dans les méandres de son esprit pour se focaliser sur les évènements à venir. Enfin, on y était ! Place à l’action et aux révélations désormais. D’un pas vif, qui se veut rassurant pour le reste de l’équipage qui n’a rien perdu de l’importance de l’échange, Kenyl suit le navigateur jusqu’à la salle de commande du vaisseau spatial. Dans sa tête, mille possibilités s’échafaudent, mille façons d’y remédier également. Il parvient enfin jusqu’au communicateur central, seule pièce d’équipement capable d’établir une liaison vocale et visuelle à des distances planétaires. Sans hésitation, le seigneur de la Grande Maison Arkies presse le bouton qui initie la conversation, regrettant trop tard que Garon Bazir ne soit pas à ses côtés pour cet entretien.
Le corps d’Entaris Iridian lui apparaît immédiatement sous forme d’image holographique. Outre son habit, désormais célèbre, de Planétologue, rien ne semble distinguer le régisseur impérial de tout autre habitant de l’empire : il est jeune, cheveux bruns coupés courts, la stature droite. Mais déjà son visage est marqué par une détermination qui n’échappe pas à Kenyl.
« Mes respects, seigneur Arkies. », tonne la voix d’Entaris, pleine de force aux oreilles du seigneur.
« Que la grâce de l’empereur soit avec vous, régisseur Iridian. », répond sans se laisser décontenancer Kenyl, selon la formule consacrée des Arkies à l’adresse de l’empereur ou d’un des ses agents.
« Je me permets de vous contacter pour vous signifier un changement du lieu de rendez-vous, seigneur Arkies. Vous n’aurez pas besoin de débarquer sur Ankwane même mais sur une plateforme spatiale qui gravité désormais en orbite autour de la planète. Mes hommes vous ont déjà transmis les coordonnées d’arrivée. »
« Je vous remercie, régisseur Iridian. Puis-je néanmoins m’enquérir de la raison de ce brusque changement, voire de la raison de ce rendez-vous tout court ? »
« De telles explications seraient trop longues à vous fournir à l’heure actuelle. Vous serez informés de tout lors que vous arriverez sur la plateforme impériale. »
« Bien, régisseur Iridian. Qu’il en soit ainsi. »
Ainsi c’est donc lui, ce fameux monstre à peine sorti de ses études qui va décider de notre sort, se dit Kenyl pour lui-même en fermant la communication. Au moins n’a-t-il pas l’air de vouloir du sang ou quoi que ce soit de trop désagréable.
« Dans combien de temps seront en vue de notre destination, capitaine ? », demande Kenyl.
« Quelques minutes à peine, Monseigneur. Dois-je prévoir une procédure d’urgence particulière ? »
« Y a-t-il quoi que ce soit qui puisse bloquer notre fuite éventuelle capitaine ? »
L’homme qui se tient à droite du seigneur Arkies ne peut réprimer un sourire de fierté à cette question.
« Non, Monseigneur, pas à ma connaissance. Nous possédons sur ce vaisseau l’équipement nécessaire pour bloquer tous types de rayons paralysants. Même un tir EMP ne parviendrait pas à déstabiliser nos systèmes. »
Souriant, Kenyl tapote sans tourner les yeux vers lui l’épaule du capitaine du vaisseau, visiblement rasséréné. Hésitant un instant, le seigneur Arkies se demande s’il est plus sage de retourner auprès des siens ou s’il faut rester ici afin de parer à toute éventualité. Il décide finalement de s’asseoir sur aux côtés de l’équipe de navigation, regardant du coin de l’œil les soldats dans leur labeur quotidien. Il note les sourires nerveux des opératrices, le regard très concentré du navigateur qui fait du mieux qu’il peut pour paraître affairé, les responsables des boucliers qui se partagent la répartition des défenses sur l’ensemble de la coque. Mais l’étude factice de ces petits moments de vie n’arrive pas à ancrer l’esprit de Kenyl dans le présent. A nouveau, ses souvenirs refluent vers la naissance de ses fils, l’affection déferlante qui l’a étreint au moment de les prendre dans ses bras la première fois, les yeux de sa femme lorsqu’elle étalait le regard sur eux, lui qui pose ses lèvres sur leur joue toute rose, les petites mains qui agrippent ses gros doigts…
« Monseigneur ? »
Brusquement sorti de sa rêverie qui lui tire malgré lui des larmes aux yeux, Kenyl Arkies redresse la tête en prenant une grande inspiration qui fait refluer ses effusions lacrymales.
« Monseigneur, nous sortons d’hyper-lumière dans moins d’une minute. », lui lance l’une des opératrices de bord.
La gorge nouée, Kenyl est incapable de répondre et se contente de hocher la tête. Il fixe l’horizon spatial, se concentre furieusement vers le potentiel danger à venir pour éviter de replonger dans ses souvenirs sensitifs qui le blessent un peu plus profondément à chaque fois. Face à lui, il n’y a pour l’heure que le conduit de couleur jaune caractéristique des voyages en hyper-lumière. Dans l’expectative, il attend fébrilement le passage dans l’espace non comprimé, celui qui lui révèlera ce qui l’attend à la fin de son voyage vers Ankwane, ce fameux rendez-vous auquel l’a convié Entaris Iridian, voix et juge de l’Empereur.
Le changement vient d’un coup, sans prévenir. Il coupe toute répartie au sein de l’équipage. Personne ne remarque la petite station spatiale dans laquelle doit se dérouler la réunion au sommet entre Arkies, Zamals et agents de l’empire. Nul ne cherche même à regarder les radars qui pourraient révéler la présence d’éventuels vaisseaux en camouflage optique. Tous n’ont d’yeux que pour le vaisseau déjà amarré à la station orbitale, superbe bâtiment noir, long et effilé, prétendument unique, que tous dans l’empire connaissent.
Au cri du seigneur Arkies, tous ceux qui discutent légèrement dans la cabine réservée aux passagers se figent, se lèvent et accourent, remplissant brutalement la cabine de pilotage dans un concert chaotique de voix discordantes. Voix qui meurent toutes, les unes après les autre, devant le spectacle qui s’étale devant eux. Amarré au port spatial, se tient la seconde plus grande légende de l’histoire de l’empire, le monument qui a marqué la renaissance de l’Humanité, la cristallisation de tous les rêves des Hommes, le vaisseau du Prophète Avraham, la Nuée Stellaire. Sur sa coque qui a nourri l’imaginaire de toute créature consciente vivant dans les limites de l’empire, on peut voir à l’œil nu les impacts des batailles spatiales auxquelles il a participé et dont il est toujours sorti vainqueur. La Nuée Stellaire, le vaisseau amiral du camp Arkies-Deck-Falgan-Galiossa, celui qui a battu avec une poignée de fidèles l’élite des Grandes Maison Rim et Rechag lors de la bataille de Hockten IV, celui qui a vaincu le feu des cinq plus grandes armées de l’empire de Malik IV. La Nuée Stellaire, dont le simple nom faisait trembler de peur les ennemis du Prophète, fidèle navire cosmique du plus grand mage stellaire ayant vécu à ce jour et dont la révolte secoue encore le cœur des Hommes dans leurs plus intimes retranchements. Ce vaisseau, fer de lance du camp d’Avraham durant la guerre civile, celui dont on vend encore des centaines de répliques en miniatures sur la moindre planète provinciale est ici, face à eux.
Dans un silence religieux, l’entourage du seigneur Arkies, se rempli de cette vision divine, celle qu’ils ont invoqués au cours de leur lutte pour la liberté lorsque le courage venait à leur manquer, celle à laquelle ils on voué leurs prières lorsque tout semblait perdu au cœur de la lutte. L’image de ce vaisseau qui surgissait du néant pour porter secours à ceux que l’espoir avait délaissé est chargée de trop d’émotion pour que quiconque ne se risque à briser ce moment de pure contemplation. Ce navire spatial, ce fut pour eux leur symbole, un espoir tangible, un rêve éveillé. Et le voici, surgissant face à eux, comme un vieil ami que l’on retrouve par surprise. L’émotion est visible sur chacun de leurs visages, la joie se mêlant au senti profond de trahison de le voir aujourd’hui dans les mains d’un suppôt de l’empereur.
Plus le vaisseau seigneurial Arkies s’approche du point de rendez-vous, plus le sentiment s’intensifie. On peut maintenant voir sans peine les canons qui furent en leur temps à la pointe de l’ingénierie Kurkiv, les réacteurs Galiossas, le blindage Bankto…véritable syncrétisme de tout ce que l’empire, humain ou non, avait de mieux à offrir, la Nuée Stellaire trône encore dans l’esprit de tous comme l’appareil ultime, le vaisseau invincible que même la coalition de Ma’Kin II n’a pas réussi à détruire lors de la bataille de Pak’Toris. Au plus profond du cœur des perdants de la guerre civile, ce vaisseau reste la preuve qu’ils n’ont pas tout à fait été vaincus, qu’il reste encore un bâtiment jamais défait qui pouvait continuer à se battre pour leurs idéaux si le besoin s’en faisait sentir.
A la stupeur de la surprise, succède désormais les gestes rituels, les signes religieux, les mains qui se joignent, les consciences qui s’unissent pour tendre vers le souvenir de celui qui fut leur héros à eux tous, Avraham, le Prophète de l’Humanité. Célia ouvre ses grands yeux bleus qui semblent ne jamais cligner des paupières de perdre un infime instant du spectacle, Ethania pleure à chaudes larmes, Dartas se signe les deux mains tendues vers l’avant, Joralie agrippe un pendentif caché sous les plis de sa robe, Murpugo est au garde à vous. Seul Kenyl Arkies ne se soumet pas à ces petits gestes chargés de superstition : ce n’est pas tant la vision du vaisseau qui lui a arraché un cri quelques instants plus tard, c’est l’illusion fulgurante qu’Avraham, son ami, puisse être encore en vie, qu’il sortirait de son vaisseau avec sa spontanéité déconcertante pour venir le saluer. Mais Avraham est mort, il a perdu la vie dans son duel avec Ma’Kin lors de la bataille de Pak’Toris, la plus terrifiante que l’humanité ait orchestrée depuis le début de la guerre spatiale. Même Kenyl, qui pendant des semaines avait refusé d’accepter l’évidence, avait dû se résoudre à l’admettre.
Et voilà que la Nuée Stellaire, perdue depuis la fin de la bataille qui a marqué la fin de la guerre, réapparaît, et avec elle l’espoir, fou, de la survie d’Avraham. Dans les yeux de Kenyl danse le souvenir de leur dernière poignée de main, le dernier sourire échangé, la dernière parole, la dernière vision de cet homme hors normes qui s’éloigne vers son destin. Puis, sans prévenir, une émotion froide se déverse dans les veines de Kenyl Arkies, douchant toute la chaleur que la vision du vaisseau du Prophète avait générée. Il n’est pas là, Avraham n’est pas ici. Il est bien mort face à Ma’Kin il y a douze ans. La présence de son vaisseau ici amarré à la station spatiale de l’empereur me prouve que rien ne reste de lui désormais : toutes les reliques de son ascension appartiennent désormais à ses ennemis. Il nous faut vivre seuls désormais, sans la douce certitude qu’il apportait à nos vies ; sans lui.
Revenu à ses esprits, le seigneur prend les commandes du vaisseau que plus personne ne pense à contrôler. Comme tout Arkies digne de ce nom, Kenyl est un grand pilote ; mais même le meilleur pilote de la galaxie ne peut pas diriger un vaisseau de cette taille à lui seul. De pressions rapides et contrôlées, Kenyl activent les systèmes de pilotage automatique, abaissent graduellement la densité des boucliers afin que ceux-ci n’entrent pas en collision avec ceux de la station orbitale, gère la puissance des réacteurs. Avant que sa suite ou le personnel de bord ait pu totalement sortir de leur hébétude, le vaisseau Arkies est sagement amarré au pont de la station.
Sitôt le bâtiment seigneurial à l’arrêt, Kenyl Arkies se lève, semblant réinsuffler la vie à tous ceux qui se sont pressés dans la cabine de pilotage. Il les toise d’un regard sans failles, semblant les jauger les uns après les autres.
« Allons-y », dit-il de sa voix claire et, sans autre forme de procès, Kenyl Arkies se dirige vers la sortie.
Arkies 01 – Zamal 01 (1)
Ambiance musicale : Lynyrd Skynyrd, Sweet Home Alabama (acoustic)
Le texte intégral en PDF ici.
Il est des paysages qui forcent le silence, des visions de la nature qui poussent à ne rien faire d’autre qu’à rester muet devant leur beauté pure et vierge. En dépit de leur puissance, de ce qu’ils incarnent, des enjeux de cette rencontre incongrue, tous ceux qui sont rassemblés sur le sol d’Ankwane restent frappés par les plaines herbeuses balayées par le vent, les montagnes lointaines, le ciel bleu qui semble si haut que nul moyen humain ne permette de l’atteindre. Et tout ceci rend très heureux le seigneur Zarakis Zamal.
Il était lui-même tombé amoureux du charme simple et nu d’Ankwane dès la première fois où il y avait posé le pied. De la planète émanait quelque chose d’indicible mais de palpable, une force calme qui vous touchait au cœur et amenait dans votre âme un repos que nul autre spectacle que celui de la vie sauvage laissée libre ne pouvait apporter. Pour le vieux guerrier dont la vie n’avait été rythmée que par la fureur des batailles spatiales, les décisions douloureuses prises en un instant, la mort de ses compagnons d’arme, le choc avait été aussi violent que salvateur. Pour lui, Ankwane était un sanctuaire, un endroit inviolable et sacré où il pouvait trouver refuge de l’âpreté de l’existence.
Il l’avait conquise à la tête de son armada à la faveur d’une grande défaite de ses ennemis Arkies, lors de la guerre civile qui avait amené l’Empereur Ma’Kin II sur le trône. A l’époque, il n’avait guère prêté d’attention aux légendes qui couraient sur cette terre, le fait que contrairement à presque toutes les planètes de l’Empire, celle-ci n’avait pas été adaptée artificiellement à la vie humaine ; la vie avait naquit ici naturellement. Mais de tout cela, Zarakis n’avait cure à l’époque. Ce n’est qu’après une nuit de combat sur la planète de sable de Fering, alors que tous profitaient des quelques heures de pause avant la reprise des hostilités, que le seigneur Zamaal s’intéressa pour la première fois à Ankwane. Il venait de perdre une bonne partie de sa garde lors d’une attaque surprise au sol et lui-même, désormais vieux combattant, n’avait dû sa survie qu’à l’intervention de son garde du corps, un ancien esclave du nom d’Achdab.
Comme tout bon chef de guerre, Zarakis ne s’autorisait pas de repos lors de ces pauses ; il savait combien la peur est prompte à s’installer dans les cœurs dans ces moments et avec elle le doute puis la défaite. La victoire se construit dans le cœur des combattants et c’était à cet instant tout autant que bientôt sur le champ de bataille qu’il lui fallait la bâtir. Zarakis allait donc de groupe de soldat en groupe de soldat, adressant un signe de tête à l’un, prenant des nouvelles de la blessure de l’autre ; il suffisait souvent d’un geste, d’un intention, une main posée en silence sur une épaule, un regard appuyé, pour faire renaître l’espoir dans les yeux de ses hommes. Il était leur chef, leur meneur et c’était en lui qu’ils venaient trouver le courage de se battre.
Alors qu’il finissait de faire le tour de ses troupes, Zarakis était tombé sur un être seul, un peu à l’écart des autres groupes. Il n’avait pas mis longtemps à reconnaître le visage caractéristique d’Achdab, sa peau plus sombre que celle des autres, son corps aussi fin que délicat. Achdab n’avait pas grandit dans des vaisseaux spatiaux, il n’était pas aussi grand que les autres guerriers de la Grande Maison Zamal mais sa rapidité et son agilité était connue de tous. Personne pour autant ne pouvait se targuer de le connaître ou de lui faire confiance : Achdab était trop différent d’eux pour qu’ils l’acceptent comme l’un des leurs. Zarakis, qui ne s’embarrassait guère de ce genre de frivolités, avait reconnu en son assassin solitaire un guerrier au premier coup d’œil, un être qui n’hésiterait pas à donner la mort si c’était nécessaire sans pour autant aimer recourir à la violence. En dépit de son statu d’ex-esclave, il en avait fait son homme de confiance et avait remis sa vie entre ses mains lors du décès de son ancien garde du corps. Les derniers jours de combat avaient vu la pertinence de son choix tant il avait évité la mort grâce à l’habileté d’Achdab. Ce soir là, le petit tueur ne semblait pas plus que d’habitude en proie au doute ou à la peur. Il se contentait de rester dans son coin, le visage calme et les yeux rivés vers les étoiles.
« Je peux m’asseoir, Achdab ? »
Comme sorti d’une intense rêverie, l’homme de main du seigneur Zamal prend un temps pour répondre avant de désigner de la main une place à côté de lui. Zarakis se pose au sol, regarder en l’air en tachant de comprendre ce qui a pu absorber autant son vis-à-vis. Celui-ci semble avoir deviné l’interrogation muette du seigneur.
« Je regardais les étoiles. Je pensais à chez moi. »
Zarakis répond par un grognement guttural dont il l’habitude, peut-être par crainte de sortir son compagnon de la douce rêverie dans laquelle il paraît errer
« Je me demandais si j’y retournerai un jour avant de mourir. »
« Tu es un homme libre désormais Achdab. Si tu es encore en vie à la fin de la guerre, tu pourras renter chez toi. »
« Peut-être. Mais ma planète est occupée. Si je veux la retrouver telle que je l’ai connue, il faudra me battre encore. »
« Où est-ce chez toi ? »
« C’est une planète de vent, une succession de plaines aux herbes vertes qui montent jusqu’au cuisses, de moulin géants qui captent la puissance de l’air pour alimenter les maisons. Il n’y a pas de vaisseaux, pas ce confort qui vous entoure tous et qui vous a attendri. Mais c’est beau et ça me manque. »
« Mais où est-ce ? »
« Je ne sais pas. »
Naturellement, le pauvre n’avait eu aucune éducation spatiale, il n’avait jamais dû lire une carte ni voyager de planète en planète. Mais il parlait avec tant d’émotion dans la voix de sa terre natale que Zarakis en était touché. Toute la nuit, le seigneur combattant questionna son assassin sur la terre de ses ancêtres. Il appris la valeur de leurs croyances, le respect qu’ils portaient aux morts, leur amour de la nature et de l’effort, leur connivence avec le vent qui rythmait leur existence.
Le lendemain, l’assaut repris et Achdab sauva une dernière fois la vie de Zarakis au prix de la sienne. Une fois le reste de ses hommes amené en lieu sûr, Zarakis reparti seul sur le champ de bataille. Il retrouva le corps de son garde, régla son fusil laser à la puissance maximale et pulvérisa le cadavre ; avec une infinie précaution, il vida sa blague à tabac dans le sable et entreprit de la remplir avec le contenu des cendres d’Achdab. Et là il fit le serment de déposer les restes de celui qui lui avait sauvé la vie tant de fois de ramener ses cendre sur sa planète libérée.
La guerre civile suivi son cours. Zarakis et ses hommes furent sauvés par un détachement aérien quelques jours plus tard. Peu à peu, la force de la Grande Maison Zamal s’imposait au reste de l’Empire. Le Seigneur cherchait sans relâche l’origine de son assassin mort au combat. Il fini par trouver et découvrir l’existence d’Ankwane qui, ironie du sort, était presque limitrophe à ses propres territoires. La petitesse de la planète et son manque de ressources fossiles l’avait rendue invisible à la plupart des cartes spatiales mais elle était toute proche. Cependant, étant sous contrôle de la puissante Grande Maison Arkies, Ankwane était hors d’atteinte. A l’époque, Zarakis ne pouvait se permettre le luxe de prendre d’assaut directement le territoire de son voisin à la flotte spatiale si supérieure à la sienne. Puis la guerre civile poussa les Arkies à envoyer massivement des vaisseaux sur le front Ouest de l’Empire, rendant ses frontières vulnérables. Quarante-huit heures plus tard, les maigres défenses d’Ankwane tombaient des mains des Zamals et Zarakis posait le pied sur le sol de la planète, dispersant les cendres de son compagnon d’arme au gré des gigantesques bourrasques qui balayaient les étendues herbeuses.
Zarakis s’était toujours plus occupé de cette planète chère à son cœur qu’il ne l’aurait dû. Il avait laissé un contingent de défense pour bloquer toute volonté des Arkies de revenir en force. Dès que la paix s’était imposée à la suite du couronnement de Ma’Kin II, le seigneur Zamal avait progressivement et prudemment évacué Ankwane pour la laisser aux mains d’un ancien gradé de son armée à qui il offrit la planète. Il en retira un immense déplaisir car il aurait voulu que les habitants locaux n’aient nul maître à qui rendre des comptes. Mais les lois impériales imposaient à chaque planète un interlocuteur digne de ce nom et le peuple d’Ankwane n’avait que faire d’un tel protocole. Laisser un homme à lui sur place était la garantie pour Zarakis que personne ne profiterait du vide administratif que représentait la petite planète pour l’acquérir par une manœuvre diplomatique au Sénat Impérial. Force était en outre de constater que les habitants d’Ankwane se souciaient assez peu de leur prétendue servitude du moment que nul n’entravait leurs éternelles allées et venues ni le respect de leur culture à laquelle ils tenaient tant. L’homme mis en poste par Zarakis était en outre un être usé par la guerre, bien trop faible pour dominer la population, trop désireux de plaire à son ancien seigneur pour aller à l’encontre de ses exigences mais apte à tenir son rôle face à un agent impérial.
Cette myriade de souvenir danse dans l’esprit de Zarakis et lui étreint le cœur au même titre que la magie de cette planète. Contrairement à tous ceux qui se tiennent dans la plaine venteuse en ce moment, il sait pourquoi le régisseur impérial Entaris Iridian les a convoqué : Rengad Hussif, ancien soldat et vassal de la Maison Zamal, régent de la planète Ankwane est décédé. Sans héritier, il laisse une place vide qu’il faut combler. Or la planète pose problème : d’un elle est située entre les territoires de deux Grandes Maisons puissantes ; de deux son histoire est lourde d’une opposition armée entre ces deux Grandes Maisons pour sa possession. Les risques d’affrontement sont donc évidents entre Zamals et Arkies. La seule solution intelligente était donc d’envoyer un émissaire mandaté par l’Empereur afin que Sa Majesté fasse reconnaître son droit d’arbitrage en la matière plutôt que de laisser ses vassaux se faire la guerre dans leur coin. C’est donc sans surprise mais avec beaucoup de satisfaction que Zarakis a reçu l’ordre de se rendre sur Ankwane deux jours après avoir appris la mort de Rengad Hussif. Cette joie a d’ailleurs fait beaucoup jaser : pour tout le monde, le seigneur a beaucoup à perdre avec la disparition de son allié. Si l’influence Zamale sur Ankwane n’était pas publique, il était clair que c’était avant tout Zarakis qui avait la main sur la planète; la mort de Hussif marque la fin d’une diplomatie unilatérale et sans aucun danger.
Le plaisir de Zarakis est plus subtil : il est heureux de la réaction de l’Empereur qui a fait le bon choix selon lui et a su réagir comme il l’espérait, non pas au bénéfice de la maison Zamal mais à celui de la justice. Le vieux guerrier a beaucoup risqué pour aider Ma’Kin II à prendre le trône et sans la gestion militaire désastreuse des Arkies, il est probable qu’il aurait pu perdre une bonne partie de ses territoires. Mais Kenyl Arkies, alors tout jeune seigneur depuis la mort de son père, n’avait à l’époque ni l’expérience ni le cran pour prendre les bonnes décisions lors d’un conflit majeur. Il savait s’entourer, il avait su d’ailleurs très vite apprendre de ses erreurs et faire confiance à des gens capables, mais cette Grande Maison qui brillait tant par ses exploits économiques et politiques n’était pas une nation guerrière. Les Arkies avait fait l’erreur d’envoyer leur flotte dans des batailles à l’importance secondaire, perdant de nombreux vaisseaux qui leur coûtaient à chaque affrontement une portion non négligeable de leur ressources, tant humaines que matérielles. Ils faisaient la une de tous les journaux, on parlait d’eux comme des maîtres de l’espace tant leurs engins étaient craints sur le champ de bataille spatial. Mais les médias ne font pas gagner les guerres ; loin des titres à sensations, de vrais stratèges prenaient bien soin d’amenuiser l’armada des Arkies lors de défaites calculées jusqu’à ce qu’il ne reste plus assez de forces à Kenyl pour fondre sur Bengalia, la capitale de l’Empire. Une fois affaibli, le seigneur Arkies avait tenté de fédérer une alliance autour d’un concept novateur d’un pouvoir nouveau, sans empereur et où la liberté individuelle ferait loi. Il n’avait pas été long à être abandonné de tous, ses alliés potentiels riant de ses visées humanistes bonnes pour un salon philosophique mais très peu pour la réalité du monde. Cela faisait encore rire Zarakis : l’idée d’abandonner l’Empire pour une démocratie universelle. Kenyl était de ces idéalistes qui construisaient des châteaux de cartes intellectuels dans leur tête sans même se soucier de savoir s’ils étaient viables. Tant que l’idée semblait séduisante et surtout pleine de panache, elle avait ses faveurs. Que croyait-il ? Qu’on avait édifié un système politique impérial par plaisir ? Non, on l’avait fait car c’était le seul qui puisse résister à l’envergure immense de l’expansion humaine dans l’espace. La démocratie, la technocratie, l’anarchie, l’auto régulation sans chef ni contraintes n’étaient possibles qu’à une toute petite échelle. Sitôt qu’un groupe d’individus fédérés sous une même bannière arrive à un seuil critique, défini par son nombre, elle doit muer en un système plus dur, plus violent et unilatéral. Il n’y avait rien là de méritoire ou de raison de s’enorgueillir : plus un pouvoir a recours à la force, plus il se sait, consciemment ou non, menacé. L’Humanité ne devait son unité qu’au diktat imposé par l’Empereur et les Grande Maison ; système féodal archaïque, cette hiérarchie injuste et âpre était néanmoins nécessaire. Zarakis l’avait expérimenté toute sa vie sur les champs de bataille : dès lors que des choix courageux et difficiles surgissent, le plus grand nombre se choisi un chef, un père, pour les guider et, accessoirement, prendre les responsabilités à sa place. L’Empire se sait menacé, il connaît les poussées indépendantistes des uns et des autres, il sait que s’il relâche la pression sur la masse immense des ses centaines de milliards de sujets, il sera face au constat de son impuissance et de ses faiblesses.
Kenyl Arkies avait oublié cette loi élémentaire du groupe et c’est pourquoi, en dépit de toute sa science dans la diplomatie, il avait échoué. Zarakis et son camp savaient, eux, de quoi il en retournait et s’était choisi un champion charismatique et capable en la personne de Ma’Kin II. Il n’était pas le meilleur des hommes, il n’était pas même le meilleur d’entre eux mais il était le seul capable de prendre les rênes du pouvoir. Pour autant, c’était un pari : si jamais les espoirs de Zarakis et de ses alliés s’avéraient infondés, l’Empire n’aurait pas survécu à la violence de la guerre civile. Il fallait un être hors du commun pour guérir les plaies de l’Empire, canaliser l’inconscient collectif de la majorité, incarner des grands thèmes qui parlent au cœur de tous. Le seigneur Zamal avait aujourd’hui une preuve supplémentaire qu’il avait fait le bon choix. La présence d’Entaris Iridian témoignait du sérieux et de la détermination de Ma’Kin II à s’imposer ; il le faisait à sa manière, toujours sous un couvert de faiblesse pour venir frapper au bon moment comme avec ces curieux Planétologues tout juste apparus sur le devant de la scène, mais il travaillait. Zarakis est donc heureux, non pas d’avoir perdu Ankwane mais d’avoir gagné la guerre, d’avoir misé sur le bon leader qui sait la valeur de la justice et de l’honneur.
La sonnerie d’un communicateur vient perturber le sentiment pur et sans artifices du spectacle qui s’étale devant les yeux de Zarakis et de la petite troupe qui l’accompagne. Sans que quiconque puisse l’en empêcher, la communication s’établi et l’hologramme du régisseur Iridian se forme sur l’avant bras du seigneur Zamaal. Il est jeune, si jeune, c’en est presque risible. Mais il y a quelque chose en lui de fort, structurant. A sa manière, c’est probablement un guerrier lui aussi.
« Vous êtes en retard, seigneur Zamal. »
« C’est vrai. »
Zarakis n’ajoute rien, il n’y a d’ailleurs rien à dire de plus. Contrairement aux ordres qui lui ont été donnés, il n’est pas immédiatement allé poser son vaisseau sur la station orbitale mais a atterri sur le sol d’Ankwane même, ne voulant pas manquer une occasion de revoir ce paysage qu’il vénère.
« Je ne peux pas tolérer plus longtemps cet écart au protocole diplomatique, seigneur Zamal. Veuillez vous rendre immédiatement au point de rendez-vous. »
« Il sera fait selon vos désirs, Régisseur. », répond Zarakis, narquois, qui a bien envie de voir ce que ce jeune coq a dans les tripes.
Coupant la communication, Zarakis se rempli de toutes les sensations qui l’enveloppe lorsqu’il est ici, reculant de quelques instants encore le moment redouté du départ. Puis sa volonté reprend le dessus, s’impose à de ses désirs sensoriels.
« On y va. », déclare simplement Zarakis, provoquant le mouvement conjoint de tous ceux qui l’ont accompagné sur le sol d’Ankwane.
Alors que tous retournent jusqu’au terrifiant vaisseau noir bardé de canons et sans aucune recherche esthétique, l’un des compagnons de Zarakis reste lui un peu en retrait, comme hypnotisé par le paysage. Le vieux seigneur de guerre s’approche de Darab Mu, son assassin favori et probablement celui de ses hommes pour lequel il le plus d’affection, pose une main amicale sur son épaule et l’entraîne à la suite des autres.
Il était lui-même tombé amoureux du charme simple et nu d’Ankwane dès la première fois où il y avait posé le pied. De la planète émanait quelque chose d’indicible mais de palpable, une force calme qui vous touchait au cœur et amenait dans votre âme un repos que nul autre spectacle que celui de la vie sauvage laissée libre ne pouvait apporter. Pour le vieux guerrier dont la vie n’avait été rythmée que par la fureur des batailles spatiales, les décisions douloureuses prises en un instant, la mort de ses compagnons d’arme, le choc avait été aussi violent que salvateur. Pour lui, Ankwane était un sanctuaire, un endroit inviolable et sacré où il pouvait trouver refuge de l’âpreté de l’existence.
Il l’avait conquise à la tête de son armada à la faveur d’une grande défaite de ses ennemis Arkies, lors de la guerre civile qui avait amené l’Empereur Ma’Kin II sur le trône. A l’époque, il n’avait guère prêté d’attention aux légendes qui couraient sur cette terre, le fait que contrairement à presque toutes les planètes de l’Empire, celle-ci n’avait pas été adaptée artificiellement à la vie humaine ; la vie avait naquit ici naturellement. Mais de tout cela, Zarakis n’avait cure à l’époque. Ce n’est qu’après une nuit de combat sur la planète de sable de Fering, alors que tous profitaient des quelques heures de pause avant la reprise des hostilités, que le seigneur Zamaal s’intéressa pour la première fois à Ankwane. Il venait de perdre une bonne partie de sa garde lors d’une attaque surprise au sol et lui-même, désormais vieux combattant, n’avait dû sa survie qu’à l’intervention de son garde du corps, un ancien esclave du nom d’Achdab.
Comme tout bon chef de guerre, Zarakis ne s’autorisait pas de repos lors de ces pauses ; il savait combien la peur est prompte à s’installer dans les cœurs dans ces moments et avec elle le doute puis la défaite. La victoire se construit dans le cœur des combattants et c’était à cet instant tout autant que bientôt sur le champ de bataille qu’il lui fallait la bâtir. Zarakis allait donc de groupe de soldat en groupe de soldat, adressant un signe de tête à l’un, prenant des nouvelles de la blessure de l’autre ; il suffisait souvent d’un geste, d’un intention, une main posée en silence sur une épaule, un regard appuyé, pour faire renaître l’espoir dans les yeux de ses hommes. Il était leur chef, leur meneur et c’était en lui qu’ils venaient trouver le courage de se battre.
Alors qu’il finissait de faire le tour de ses troupes, Zarakis était tombé sur un être seul, un peu à l’écart des autres groupes. Il n’avait pas mis longtemps à reconnaître le visage caractéristique d’Achdab, sa peau plus sombre que celle des autres, son corps aussi fin que délicat. Achdab n’avait pas grandit dans des vaisseaux spatiaux, il n’était pas aussi grand que les autres guerriers de la Grande Maison Zamal mais sa rapidité et son agilité était connue de tous. Personne pour autant ne pouvait se targuer de le connaître ou de lui faire confiance : Achdab était trop différent d’eux pour qu’ils l’acceptent comme l’un des leurs. Zarakis, qui ne s’embarrassait guère de ce genre de frivolités, avait reconnu en son assassin solitaire un guerrier au premier coup d’œil, un être qui n’hésiterait pas à donner la mort si c’était nécessaire sans pour autant aimer recourir à la violence. En dépit de son statu d’ex-esclave, il en avait fait son homme de confiance et avait remis sa vie entre ses mains lors du décès de son ancien garde du corps. Les derniers jours de combat avaient vu la pertinence de son choix tant il avait évité la mort grâce à l’habileté d’Achdab. Ce soir là, le petit tueur ne semblait pas plus que d’habitude en proie au doute ou à la peur. Il se contentait de rester dans son coin, le visage calme et les yeux rivés vers les étoiles.
« Je peux m’asseoir, Achdab ? »
Comme sorti d’une intense rêverie, l’homme de main du seigneur Zamal prend un temps pour répondre avant de désigner de la main une place à côté de lui. Zarakis se pose au sol, regarder en l’air en tachant de comprendre ce qui a pu absorber autant son vis-à-vis. Celui-ci semble avoir deviné l’interrogation muette du seigneur.
« Je regardais les étoiles. Je pensais à chez moi. »
Zarakis répond par un grognement guttural dont il l’habitude, peut-être par crainte de sortir son compagnon de la douce rêverie dans laquelle il paraît errer
« Je me demandais si j’y retournerai un jour avant de mourir. »
« Tu es un homme libre désormais Achdab. Si tu es encore en vie à la fin de la guerre, tu pourras renter chez toi. »
« Peut-être. Mais ma planète est occupée. Si je veux la retrouver telle que je l’ai connue, il faudra me battre encore. »
« Où est-ce chez toi ? »
« C’est une planète de vent, une succession de plaines aux herbes vertes qui montent jusqu’au cuisses, de moulin géants qui captent la puissance de l’air pour alimenter les maisons. Il n’y a pas de vaisseaux, pas ce confort qui vous entoure tous et qui vous a attendri. Mais c’est beau et ça me manque. »
« Mais où est-ce ? »
« Je ne sais pas. »
Naturellement, le pauvre n’avait eu aucune éducation spatiale, il n’avait jamais dû lire une carte ni voyager de planète en planète. Mais il parlait avec tant d’émotion dans la voix de sa terre natale que Zarakis en était touché. Toute la nuit, le seigneur combattant questionna son assassin sur la terre de ses ancêtres. Il appris la valeur de leurs croyances, le respect qu’ils portaient aux morts, leur amour de la nature et de l’effort, leur connivence avec le vent qui rythmait leur existence.
Le lendemain, l’assaut repris et Achdab sauva une dernière fois la vie de Zarakis au prix de la sienne. Une fois le reste de ses hommes amené en lieu sûr, Zarakis reparti seul sur le champ de bataille. Il retrouva le corps de son garde, régla son fusil laser à la puissance maximale et pulvérisa le cadavre ; avec une infinie précaution, il vida sa blague à tabac dans le sable et entreprit de la remplir avec le contenu des cendres d’Achdab. Et là il fit le serment de déposer les restes de celui qui lui avait sauvé la vie tant de fois de ramener ses cendre sur sa planète libérée.
La guerre civile suivi son cours. Zarakis et ses hommes furent sauvés par un détachement aérien quelques jours plus tard. Peu à peu, la force de la Grande Maison Zamal s’imposait au reste de l’Empire. Le Seigneur cherchait sans relâche l’origine de son assassin mort au combat. Il fini par trouver et découvrir l’existence d’Ankwane qui, ironie du sort, était presque limitrophe à ses propres territoires. La petitesse de la planète et son manque de ressources fossiles l’avait rendue invisible à la plupart des cartes spatiales mais elle était toute proche. Cependant, étant sous contrôle de la puissante Grande Maison Arkies, Ankwane était hors d’atteinte. A l’époque, Zarakis ne pouvait se permettre le luxe de prendre d’assaut directement le territoire de son voisin à la flotte spatiale si supérieure à la sienne. Puis la guerre civile poussa les Arkies à envoyer massivement des vaisseaux sur le front Ouest de l’Empire, rendant ses frontières vulnérables. Quarante-huit heures plus tard, les maigres défenses d’Ankwane tombaient des mains des Zamals et Zarakis posait le pied sur le sol de la planète, dispersant les cendres de son compagnon d’arme au gré des gigantesques bourrasques qui balayaient les étendues herbeuses.
Zarakis s’était toujours plus occupé de cette planète chère à son cœur qu’il ne l’aurait dû. Il avait laissé un contingent de défense pour bloquer toute volonté des Arkies de revenir en force. Dès que la paix s’était imposée à la suite du couronnement de Ma’Kin II, le seigneur Zamal avait progressivement et prudemment évacué Ankwane pour la laisser aux mains d’un ancien gradé de son armée à qui il offrit la planète. Il en retira un immense déplaisir car il aurait voulu que les habitants locaux n’aient nul maître à qui rendre des comptes. Mais les lois impériales imposaient à chaque planète un interlocuteur digne de ce nom et le peuple d’Ankwane n’avait que faire d’un tel protocole. Laisser un homme à lui sur place était la garantie pour Zarakis que personne ne profiterait du vide administratif que représentait la petite planète pour l’acquérir par une manœuvre diplomatique au Sénat Impérial. Force était en outre de constater que les habitants d’Ankwane se souciaient assez peu de leur prétendue servitude du moment que nul n’entravait leurs éternelles allées et venues ni le respect de leur culture à laquelle ils tenaient tant. L’homme mis en poste par Zarakis était en outre un être usé par la guerre, bien trop faible pour dominer la population, trop désireux de plaire à son ancien seigneur pour aller à l’encontre de ses exigences mais apte à tenir son rôle face à un agent impérial.
Cette myriade de souvenir danse dans l’esprit de Zarakis et lui étreint le cœur au même titre que la magie de cette planète. Contrairement à tous ceux qui se tiennent dans la plaine venteuse en ce moment, il sait pourquoi le régisseur impérial Entaris Iridian les a convoqué : Rengad Hussif, ancien soldat et vassal de la Maison Zamal, régent de la planète Ankwane est décédé. Sans héritier, il laisse une place vide qu’il faut combler. Or la planète pose problème : d’un elle est située entre les territoires de deux Grandes Maisons puissantes ; de deux son histoire est lourde d’une opposition armée entre ces deux Grandes Maisons pour sa possession. Les risques d’affrontement sont donc évidents entre Zamals et Arkies. La seule solution intelligente était donc d’envoyer un émissaire mandaté par l’Empereur afin que Sa Majesté fasse reconnaître son droit d’arbitrage en la matière plutôt que de laisser ses vassaux se faire la guerre dans leur coin. C’est donc sans surprise mais avec beaucoup de satisfaction que Zarakis a reçu l’ordre de se rendre sur Ankwane deux jours après avoir appris la mort de Rengad Hussif. Cette joie a d’ailleurs fait beaucoup jaser : pour tout le monde, le seigneur a beaucoup à perdre avec la disparition de son allié. Si l’influence Zamale sur Ankwane n’était pas publique, il était clair que c’était avant tout Zarakis qui avait la main sur la planète; la mort de Hussif marque la fin d’une diplomatie unilatérale et sans aucun danger.
Le plaisir de Zarakis est plus subtil : il est heureux de la réaction de l’Empereur qui a fait le bon choix selon lui et a su réagir comme il l’espérait, non pas au bénéfice de la maison Zamal mais à celui de la justice. Le vieux guerrier a beaucoup risqué pour aider Ma’Kin II à prendre le trône et sans la gestion militaire désastreuse des Arkies, il est probable qu’il aurait pu perdre une bonne partie de ses territoires. Mais Kenyl Arkies, alors tout jeune seigneur depuis la mort de son père, n’avait à l’époque ni l’expérience ni le cran pour prendre les bonnes décisions lors d’un conflit majeur. Il savait s’entourer, il avait su d’ailleurs très vite apprendre de ses erreurs et faire confiance à des gens capables, mais cette Grande Maison qui brillait tant par ses exploits économiques et politiques n’était pas une nation guerrière. Les Arkies avait fait l’erreur d’envoyer leur flotte dans des batailles à l’importance secondaire, perdant de nombreux vaisseaux qui leur coûtaient à chaque affrontement une portion non négligeable de leur ressources, tant humaines que matérielles. Ils faisaient la une de tous les journaux, on parlait d’eux comme des maîtres de l’espace tant leurs engins étaient craints sur le champ de bataille spatial. Mais les médias ne font pas gagner les guerres ; loin des titres à sensations, de vrais stratèges prenaient bien soin d’amenuiser l’armada des Arkies lors de défaites calculées jusqu’à ce qu’il ne reste plus assez de forces à Kenyl pour fondre sur Bengalia, la capitale de l’Empire. Une fois affaibli, le seigneur Arkies avait tenté de fédérer une alliance autour d’un concept novateur d’un pouvoir nouveau, sans empereur et où la liberté individuelle ferait loi. Il n’avait pas été long à être abandonné de tous, ses alliés potentiels riant de ses visées humanistes bonnes pour un salon philosophique mais très peu pour la réalité du monde. Cela faisait encore rire Zarakis : l’idée d’abandonner l’Empire pour une démocratie universelle. Kenyl était de ces idéalistes qui construisaient des châteaux de cartes intellectuels dans leur tête sans même se soucier de savoir s’ils étaient viables. Tant que l’idée semblait séduisante et surtout pleine de panache, elle avait ses faveurs. Que croyait-il ? Qu’on avait édifié un système politique impérial par plaisir ? Non, on l’avait fait car c’était le seul qui puisse résister à l’envergure immense de l’expansion humaine dans l’espace. La démocratie, la technocratie, l’anarchie, l’auto régulation sans chef ni contraintes n’étaient possibles qu’à une toute petite échelle. Sitôt qu’un groupe d’individus fédérés sous une même bannière arrive à un seuil critique, défini par son nombre, elle doit muer en un système plus dur, plus violent et unilatéral. Il n’y avait rien là de méritoire ou de raison de s’enorgueillir : plus un pouvoir a recours à la force, plus il se sait, consciemment ou non, menacé. L’Humanité ne devait son unité qu’au diktat imposé par l’Empereur et les Grande Maison ; système féodal archaïque, cette hiérarchie injuste et âpre était néanmoins nécessaire. Zarakis l’avait expérimenté toute sa vie sur les champs de bataille : dès lors que des choix courageux et difficiles surgissent, le plus grand nombre se choisi un chef, un père, pour les guider et, accessoirement, prendre les responsabilités à sa place. L’Empire se sait menacé, il connaît les poussées indépendantistes des uns et des autres, il sait que s’il relâche la pression sur la masse immense des ses centaines de milliards de sujets, il sera face au constat de son impuissance et de ses faiblesses.
Kenyl Arkies avait oublié cette loi élémentaire du groupe et c’est pourquoi, en dépit de toute sa science dans la diplomatie, il avait échoué. Zarakis et son camp savaient, eux, de quoi il en retournait et s’était choisi un champion charismatique et capable en la personne de Ma’Kin II. Il n’était pas le meilleur des hommes, il n’était pas même le meilleur d’entre eux mais il était le seul capable de prendre les rênes du pouvoir. Pour autant, c’était un pari : si jamais les espoirs de Zarakis et de ses alliés s’avéraient infondés, l’Empire n’aurait pas survécu à la violence de la guerre civile. Il fallait un être hors du commun pour guérir les plaies de l’Empire, canaliser l’inconscient collectif de la majorité, incarner des grands thèmes qui parlent au cœur de tous. Le seigneur Zamal avait aujourd’hui une preuve supplémentaire qu’il avait fait le bon choix. La présence d’Entaris Iridian témoignait du sérieux et de la détermination de Ma’Kin II à s’imposer ; il le faisait à sa manière, toujours sous un couvert de faiblesse pour venir frapper au bon moment comme avec ces curieux Planétologues tout juste apparus sur le devant de la scène, mais il travaillait. Zarakis est donc heureux, non pas d’avoir perdu Ankwane mais d’avoir gagné la guerre, d’avoir misé sur le bon leader qui sait la valeur de la justice et de l’honneur.
La sonnerie d’un communicateur vient perturber le sentiment pur et sans artifices du spectacle qui s’étale devant les yeux de Zarakis et de la petite troupe qui l’accompagne. Sans que quiconque puisse l’en empêcher, la communication s’établi et l’hologramme du régisseur Iridian se forme sur l’avant bras du seigneur Zamaal. Il est jeune, si jeune, c’en est presque risible. Mais il y a quelque chose en lui de fort, structurant. A sa manière, c’est probablement un guerrier lui aussi.
« Vous êtes en retard, seigneur Zamal. »
« C’est vrai. »
Zarakis n’ajoute rien, il n’y a d’ailleurs rien à dire de plus. Contrairement aux ordres qui lui ont été donnés, il n’est pas immédiatement allé poser son vaisseau sur la station orbitale mais a atterri sur le sol d’Ankwane même, ne voulant pas manquer une occasion de revoir ce paysage qu’il vénère.
« Je ne peux pas tolérer plus longtemps cet écart au protocole diplomatique, seigneur Zamal. Veuillez vous rendre immédiatement au point de rendez-vous. »
« Il sera fait selon vos désirs, Régisseur. », répond Zarakis, narquois, qui a bien envie de voir ce que ce jeune coq a dans les tripes.
Coupant la communication, Zarakis se rempli de toutes les sensations qui l’enveloppe lorsqu’il est ici, reculant de quelques instants encore le moment redouté du départ. Puis sa volonté reprend le dessus, s’impose à de ses désirs sensoriels.
« On y va. », déclare simplement Zarakis, provoquant le mouvement conjoint de tous ceux qui l’ont accompagné sur le sol d’Ankwane.
Alors que tous retournent jusqu’au terrifiant vaisseau noir bardé de canons et sans aucune recherche esthétique, l’un des compagnons de Zarakis reste lui un peu en retrait, comme hypnotisé par le paysage. Le vieux seigneur de guerre s’approche de Darab Mu, son assassin favori et probablement celui de ses hommes pour lequel il le plus d’affection, pose une main amicale sur son épaule et l’entraîne à la suite des autres.