Arkies 01 – Zamal 00 (1)

Ambiance Musicale : Ike & Tina Turner, Rolling on the river

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Aucune des multiples réflexions que se faisait le seigneur Arkies au moment du décollage du vaisseau spatial ne lui amenait beaucoup de joie ; mais malgré leur caractère sombre et délicat, rien ne lui amenait un sentiment aussi urticant que le sourire de son conseiller, Garon Bazir. Celui-ci semblait perdu dans ses esprits, le visage léger, non sans cette retenue naturelle qui était sa marque mais non sans une certaine désinvolture non plus. Et cela exaspérait le seigneur Arkies au plus haut point car il était très soucieux de ce qui allait se passer dans les heures à venir et attendait que tout le monde à bord de son vaisseau arbore un visage sérieux et concentré de circonstance.
« Puis-je savoir, Monsieur Bazir, ce qui provoque votre hilarité ? »
Ton sec, usage du dénominatif « monsieur », accentuation de l’élément qui le perturbe, tous les signes sont clairs : le seigneur est furieux. Sans quitter son sourire, Garon se tourne vers celui qui l’interpelle.
« Je comprends votre inquiétude, Monseigneur, mais ne vous en faites pas, tout se passera bien. »
Les deux hommes se jaugent du regard, Kenyl Arkies tentant de percer le mystère de la réponse de son conseiller, Garon espérant que sa petite tirade ne le mettra pas, une fois de plus dans la disgrâce seigneuriale. Certes, le seigneur est aussi prompt à se mettre en colère qu’à pardonner, mais l’entre-deux n’est jamais très plaisant.
« Je souriais car je pense à l’amusante similitude de notre voyage et celui qui a conduit la famille Iridian sur le sol de Tarxis I il y a quelques semaines. Ma remarque venait du fait que je comprends l’angoisse qui vous étreint et qui se change en agressivité à mon égard. Vous avez peur de ce que vous ne pouvez contrôler et vous l’exprimez en vous en prenant à moi. C’est une réaction très naturelle. »
« Mais indigne de ma personne, c’est ce que vous sous-entendez Garon ? »
Il m’appelle « Garon », ça veut dire qu’il écoute. L’émotion rageuse est passée.
« Je ne porterai pas un tel jugement sur celui que je sers, Monseigneur. Les divers sentiments qui vous animent sont tout à votre honneur. »
« Et quels sont-ils je vous prie ? »
« Puis-je les exprimer librement ? »
« Garon, cessez ces simagrées et parlez bon sang ! »
« Bien. Vous êtes inquiet car depuis l’incident Tarxis I toute la politique impériale est révélée au grand jour. Les Planétologues, ces Mages Stellaires qui faisaient rire les magiciens de l’ancienne école, ont démontrés qu’ils possédaient une puissance de très loin supérieure à tout ce qui nous connaissions jusqu’ici. A l’heure actuelle nous ne sommes pas en mesure de déterminer jusqu’où ils peuvent aller mais nous pouvons logiquement déduire qu’un seul de ces Planétologues peut aisément venir à bout de toute votre garde rapprochée, voire d’un bout de votre armée. A ceci s’ajoute le fait que l’Empereur Ma’Kin II leur a conféré le titre de régisseur impérial. A leur puissance militaire il faut donc leur adjoindre une force politique majeure en ce sens qu’ils sont les yeux et les juges de l’Empereur désormais et vont tout faire pour juguler les visées d’indépendance des Grandes Maisons comme la vôtre. Tout ceci est nouveau et nous met dans une position très délicate pour les négociations à venir. Par son caractère novateur, cet axiome de la diplomatie vient en outre brider l’une des forces majeures de la Maison Arkies qui est justement son jeu politique et ses alliances. Pour faire bref, nous serons peu ou prou désarmés face à la décision de l’Empereur qui nous prive de notre meilleure arme. S’ajoute à ceci ce rendez-vous très surprenant sur Ankwane imposé par l’Empereur. Surprenant car cette planète a été la nôtre pendant un moment jusqu’à ce que la Grande Maison Zamal ne nous la reprenne par la force il y a trente ans pour finalement la laisser autonome. »
« Sous le contrôle d’un de leurs laquais vous voulez dire ! »
« Certes Monseigneur mais le geste est important. Le passé de cette planète n’est pas neutre et vient raviver en vous la volonté de la reconquérir. Qui plus est, nos espions nous ont affirmé que le Seigneur Zarakis Zamal sera présent lui aussi. Tout pousse donc à croire que l’enjeu de cette rencontre sous l’égide de l’Empereur sera le sort d’Ankwane et que nous y sommes directement liés. »
« Hum…ça ne me rassure pas spécialement que sa Majesté n’ait pas eu la volonté de nous prévenir de la présence de nos belliqueux voisins. Ça sent l’entourloupe. »
« Peut-être Monseigneur, mais ce n’est pas sûr. Il peut s’agir d’une simple erreur protocolaire de la part de cet Entaris Iridian. »
« Une erreur protocolaire venant d’un régisseur impérial ? »
« Un régisseur impérial sans formation politique, et très jeune qui plus est. »
« Oui, ce n’est pas ce qui m’inquiète le moins ; des décisions importantes vont être prises là-bas par un gosse qui ne comprend rien des affaires de ce monde… »
« Ou un porte-parole docile qui joue le jeu de l’Empereur sans se poser de questions, c’est à voir. A tout ceci s’ajoute notre antagonisme atavique à l’encontre de la Grande Maison Zamal, le caractère farouche de Zarakis, ses très bonnes relations avec Ma’Kin II.»
« Qu’il a littéralement mis sur le trône… »
« C’est un peu exagéré Monseigneur, mais il a eu son rôle à jouer c’est certain. Bref toute cette situation n’est clairement pas à notre avantage sur le papier, surtout lorsque viennent se plaquer dessus les peines de cœur de Mademoiselle votre fille qui vous taraudent plus que vous ne voudriez bien l’admettre. »
Le visage aquilin de Kenyl Arkies se renfrogne dans une attitude boudeuse que tant de caricaturistes ont utilisée à leur avantage tout le long de son règne. Amusant personnage que cet homme de pouvoir, à la fois fasciné par la force, l’argent et le pragmatisme mais pourtant dirigé par des sentiments autrement plus humains et capable de remise en question sans orgueil. L’origine de la citation « Je reconnais la grandeur d’un homme à sa capacité à reconnaître ses erreurs » s’était perdue dans les limbes de l’histoire mais cette parole de sagesse avait souvent guidé Garon dans ses choix ; celui de servir le seigneur Arkies était de ceux-là tant cet homme, pourtant bougon en diable, savait l’appliquer à lui-même.
« Que devrais-je faire, Garon ? Oublier Célia et me concentrer sur les affaires de la maison ? C’est ce qui serait le plus sage, non ? »
« Monseigneur, ce serait le moins sage dans le cas présent : nous ne pouvons rien faire pour enrayer ce qui va se passer dans les heures à venir, les dés de cette rencontre sont déjà jetés. Ce qui sera par contre primordial, c’est d’être réactif, de glaner un maximum d’information et de préparer notre réaction à ces évènements. Et pour ce faire, vous aurez besoin de toute votre concentration. Je vous suggère donc de remédier au plus vite à ce qui vous est accessible, c’est à dire à votre trouble vis-à-vis de votre fille. »
La face de Kenyl Arkies se détend brusquement, comme apaisée. Il se lève, marche jusqu’au siège où est assis Garon et pose sa main sur l’épaule de son conseiller.
« Il y a des jours où je me demande pourquoi je vous supporte encore, Bazir, et des jours où je me demande ce que je ferais sans vous. »
« Espérons que les seconds sont plus fréquents que les premiers, Monseigneur. »
« Taisez-vous Garon ou je vous fais manger votre barbe. »
D’un pas vif, le seigneur Arkies marche vers la porte à triple blindage qui sépare sa suite du reste du vaisseau. A son entrée, tous tournent les yeux vers le chef de file de leur Grande Maison. Non sans une certaine fierté, Kenyl fait un tour d’horizon de tous ceux qu’il a prit avec lui pour cette mystérieuse réunion entre lui, Zarakis Zamal et Entaris Iridian : viennent d’abord Joralie Kamen et Dartas Huji, les deux meilleurs Mages Stellaires de du Sud-Est de l’empire, deux fine fleurs tout droit sorties de la prestige Myraguill, la plus grande école de magie de l’empire. Merveilleux duo s’il en est entre cette diplomate capable de subjuguer les foules et ce héros de guerre dont la lance de bataille est devenue légende.
Dans la rangée suivante, se tient droit comme un « i » le général Murpugo, un colosse bête comme un militaire lorsqu’il s’agissait du protocole mais incroyable meneur d’homme dans le feu de l’action. Juste à côté du général, jetant sur le seigneur un regard aussi étonné qu’au premier jour, Kamal, homme-enfant au physique sans âge, totalement blanc des cheveux au pieds. Création génétique de la Grande Maison Rim, Kamal a fait le sacrifice de son corps pour acquérir des pouvoirs psychiques bien au-dessus de tout ce que les psis ordinaires peuvent rêver d’acquérir.
Le regard attendri de Kenyl sur cet être hors du monde et condamné dès la naissance à remplir un rôle qu’il n’a pas pu choisir glisse sur Ethania Arkies, sa femme. Ses yeux à elle sont glacials et durs ; il n’y a jamais eu d’amour entre eux, simplement un mariage arrangé avec la Grande Maison Galiossa. Comme a dû être grande sa tristesse lorsqu’elle a apprit qu’elle n’épouserait pas un prince aventurier, cultivé et romanesque comme le sont les élites des Galiossa, mais le seigneur des Arkies dans sa lointaine province de l’Est de l’Empire. Chaque jour, Ethania rappelait à Kenyl Arkies combien ce choix sur lequel elle non plus n’avait pas eu d’emprise lui avait coûté et à quel point elle regrettait ses rêves de jeune fille.
Mais s’il ne l’aimait pas, le seigneur Arkies avait appris à respecter sa femme, son maintient impérial, sa grâce, son intelligence. Force est par contre de constater que l’inverse n’est pas vrai : lasse d’être trompé au gré de la première jeune fille légère qui tombait dans les bras de son mari, Ethania s’était réfugiée de plus en plus dans une attitude méprisante et cassante à l’encontre de son mari, sans jamais tomber dans la vindicte publique, mais lui faisant payer très cher dans le privé ses écarts de conduite. D’après Garon, tout ceci n’était toutefois qu’une excuse pour se venger d’une autre décision de Kenyl : avoir retiré à Ethania ses enfants. Le seigneur Arkies avait en effet, dès leur plus jeune âge, envoyé ses héritiers potentiels dans des colonies Arkies lointaines afin de les maintenir loin de l’appât du pouvoir. Seule Célia, l’aînée et le successeur direct du pouvoir était resté. Or Ethania chérissait les trois fils qu’elle avait donné par devoir à Kenyl ; elle avait tout tenté pour les garder auprès d’elle mais ni ses suppliques ni ses menaces n’avait fait plier le seigneur Arkies. Celui-ci passe donc du plus vite qu’il le peut les yeux sur le visage de sa femme pour fuir son ire sempiternelle.
Il tombe sur Joris Leven, son petit protégé : primé de tous les concours universitaires Arkies, le jeune Joris avait gagné par la force de son mérite sa place au sein des décideurs de la Grande Maison. Il était ambitieux, rapide à prendre les bonne décisions et toujours de bon conseil. Garon le détestait mais Kenyl était certain que c’était avant tout par jalousie. Il voit en Joris un fils spirituel qui, parti de rien, démontre par l’exemple que tous au sein de la Maison Arkies peuvent atteindre le sommet. Puis, enfin, précieuse entre toutes, la fille adorée du seigneur, Célia Arkies. Célia et ses grands yeux bleus, Célia et son port de princesse, Célia qui déclenchait l’admiration partout où elle passait. Elle avait le charisme de ces femmes qui vous font détourner le regard tant leur beauté vous renvoie votre propre médiocrité esthétique, des ces femmes qui lorsqu’elle rentre dans une pièce capte toutes les attentions, de ces femmes qui lorsqu’elles vous regardent vous donnent l’impression d’avoir une raison d’exister.
Avec une moue joyeuse, le seigneur Arkies fait un signe à tous de retourner à leurs occupations. Lorsqu’il s’assied à côté de sa fille, il ressent comme à chaque fois la douce chaleur interne qu’elle procure à tous ceux qu’elle aime. Solaire et empathique, Célia ajoute à son physique une âme pure et altruiste, trop tranchée mais non sans douceur. Et dire qu’on lui a dit « non », qu’un goujat venu d’on ne sait où l’a fait pleurer, elle. Ô combien Kenyl aurait voulu tuer de ses mains celui qui a fait pleurer sa fille chérie. Mais Garon lui avait, une fois de plus entendre raison et il avait fallu abandonner ses désirs de vengeance. Il lui faut maintenant s’assurer que Célia va bien.
« Comment se porte ma fille aujourd’hui ? »
« Votre fille se porte bien, père. »
« Tu as enfin oublié ce malotru qui t’as abandonné ? »
« Non père, j’y pensais justement. Je me disais à quel point j’avais de la chance d’avoir été amoureuse et blessée de son départ. »
« Je te demande pardon, Célia ? »
Celle-ci pouffe de rire alors que l’intonation mièvre de la voix de son père s’est muée en pique courroucée. Comme à chaque fois qu’il s’écoute parler, il utilise un langage très châtié qui devient soudain très ordinaire dès qu’il s’énerve.
« Je pensais à la chance qu’on ceux qui sont tristes lors de leur rupture. La plupart des gens vous diront que celui qui est de bon côté de la barrière est celui qui souffre le moins mais je pense que c’est faux. Les vrais vainqueurs sont ceux qui se sont le plus investis, ce sont ceux qui ont pris le meilleur, le plus fort des émotions qu’ils ont partagé et peu importe le malheur à la fin. »
« Hum…en gros tu pleures quand c’est fini mais tu en d’avantage profité lorsque ça durait. »
« C’est très schématique père mais oui, c’est cela. », rétorque Célia toute sourire.
« Ha ne commence pas à parler comme Garon, veux-tu ! »
« Oui, père. »
Elle a dit ça sur le ton de la petite fille soumise mais tout son visage est rieur, comme une gentille moquerie qui est depuis longtemps leur petit jeu à eux deux. L’effet cesse la bouderie du seigneur Arkies aussi vite qu’elle est venue.
« Parlons un peu de ta formation ma fille. Qu’envisages-tu de faire ? Tu as l’âge désormais de poursuivre de hautes études et au vu de tes capacités cérébrales, très au-dessus de celles de ton pauvre papa, je crois que tu n’as l’embarras du choix. »
« Je ne sais pas père, quel rôle sera la plus utile à la maison ? »
« Ha non, pas de ça ! Je veux que ma fille fasse ce qu’elle désire, pas qu’elle fasse un choix contraint. La question n’est pas de savoir ce qui est bon pour toi mais ce que tu désires faire. »
« Ne croyez-vous pas qu’il est incongru de votre part de me dire tout ceci alors que vous même n’avez été guidé dans vos choix que par le devoir de servir votre rang et notre famille ? Ne croyez-vous pas qu’il est dangereux de dire tout ceci alors que ma mère et vous avez fait tant de sacrifices au nom de la réussite de nos entreprises ? »
« Alors c’est mon tour de te prendre à défaut ma fille : c’est justement parce que nous avons fait tout cela qu’il est de ton droit de profiter de la vie, d’en faire ce que bon te semble et de ne pas payer le prix que j’ai déjà réglé. »
« Vous et ma mère. »
« Oui, oui, ta mère aussi. »
« Je pourrais épouser que je désire ? »
« Evidemment ! »
« Même un roturier ? »
« Même un…heu, je ne sais pas. Oui, oui, pourquoi pas ; je t’avoue que je préfèrerai un noble d’où qu’il soit mais je pense que tant que tu l’aimeras l’essentiel sera là. »
« Et je pourrais avoir autant d’enfants que je le désire ? »
« Bien sûr ! Quelle question. »
« Et les garder auprès de moi, tous ? »
Kenyl Arkies marque une pause. Voilà le fond du problème. Il est là, le test ultime de sa liberté qu’il dit lui offrir mais qui a bien sûr ses limites. D’instinct, il voudrait lui dire que les choses ne sont pas si simples, qu’elle est jeune et naïve, qu’elle ne connaît pas les histoires terribles qui remplissent les livres d’histoire de l’Empire, les complots, les trahisons fraternelles, les assassinats. Les Grandes Maisons ne sont pas de simples Maison Impériales qui règnent sur un système spatial, encore moins des Clans qui n’ont pour toute richesse que quelques planètes au mieux. Non, les Grandes Maison de l’Empire sont des nations bien plus vastes, bien plus puissantes, bien plus riches et tout ceci fait aisément vaciller les esprits. Si tu savais ma fille ce que j’ai vu de mes yeux, mon propre frère qui a tenté de mettre fin à mes jours alors que j’allais accéder à la tête de la Maison et que j’ai dû faire enfermer moi-même pour ne pas avoir à le tuer. Crois-tu que j’ai privé ta mère de la joie d’avoir ses fils auprès d’elle par quelque jeu pervers de la voir souffrir ? Penses-tu que je n’ai pas été blessé moi aussi d’avoir abandonné mes enfants dans le seul but de protéger ton existence ? Tu es ma préférée, tu l’as toujours été, tout le monde le sait. Mais cela n’enlève rien à la douleur des choix qui ont été les miens. Tu apprendras toi aussi, et le besoin de ce genre de décisions et le prix à payer. Que les Galaxies fasse que ce soit le plus tard possible, ma douce Célia, mais cela viendra, soit en sûre.
« Nous verrons le temps venu, ma fille. »
Célia hoche la tête, consciente de tout ce que sous-entend la réponse de son géniteur, le non-dit de son opposition qu’il n’a pas le courage de formuler tout haut. Elle sera le seigneur de la Maison Arkies un jour, et ce jour là, comme le dit son père, nous verrons.