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Arkies – Zamal : Prologue (1)
Ambiance Musicale : Pyotr Ilyich Tchaikovsky, 1812 Overture
Le texte intégral est téléchargeable ici.
La famille Iriadian avait donc fuit. Elle n’avait pas pour autant perdu l’intention de se battre, ni de se venger. Contrairement aux Condir qui avaient centralisé institutions et place-fortes en un même endroit sur leur planète principale, les Iridians avaient eu la volonté de disperser leurs forces et leurs richesses en de nombreux points dans l’espace. Cette initiative leur avait valu leur défaite : incapable de rassembler leurs forces en un laps de temps très court pour faire face à l’offensive massive des Condir, les Iriadian avaient été balayés. Mais cette stratégie avait également l’avantage de ne pas les laisser totalement démunis après la chute de Tarxis I. Fuyant loin des cendres chaudes de leur monde natal, les Irirdian avaient repris des forces, préparant la revanche viscérale qu’ils allaient avoir sur Jenariel, chef de la famille Condir.
Ermet Iriadian, chef du clan, avait annoncé dès son arrivé sur Ilnus, leur planète refuge, son intention à l’empereur Malik IV d’obtenir rétribution. L’empereur n’avait jamais répondu à la missive. Rien d’étonnant en soi : l’empereur se souciait peu à l’époque des petites familles terriennes qui ne possédaient guère que quelques planètes et n’étaient même pas capable d’aligner plus d’une dizaine de vaisseau de guerre. La présence de trois Mages Stellaires au sein du clan Iriadian aurait peut-être pu décider Sa Majesté à envoyer des troupes mais la dépense économique d’une telle offensive ne valait pas vraiment la soumission de la famille Iridian. L’empereur Malik IV avait préféré traiter avec le vainqueur qu’avec le vaincu. La distance entre le pouvoir impérial et les territoires Iridian/Condir expliquaient en outre le choix de Son Altesse : vivant en périphérie de l’empire, les deux clans passaient aux yeux des nobles et des grandes familles sénatoriales comme des paysans aux méthodes frustres et aux mœurs moyenâgeuses. Ce constat valait probablement pour les Condir, des brutes sans cervelle qui ne juraient que par la force de leur armée ; mais en ce concerne les Iridian, on se serait lourdement trompé : commerçants, diplomates et aventuriers, les Iridians s’abreuvaient de la culture de tout l’empire et plaçaient la science, l’art et l’industrie bien avant la puissance militaire. Leur défaite leur avait appris à ne plus mépriser l’art de la guerre mais il était bien tard pour s’en rendre compte.
Quarante ans s’étaient donc écoulés, quarante années pendant lesquelles les Iridians avaient érigés des mausolées à leurs morts, jurant sur ces tombes de fortune, construites à des années lumières de l’endroit où avaient été tués les soldats de leur armée – et les civils pris dans la tourmente – de venger leur trépas. Une autre génération d’Iridian était née durant ce laps de temps, une autre génération à laquelle on avait tenté de communiquer la haine désormais ancestrale qui devait nourrir leur esprit chaque jour, une autre génération qui devait être le fer de lance de la reconquête de Tarxis I. Le moins que l’on puisse dire, c’est que cette nouvelle élite avait quelque peu déçu les attentes immenses qui avaient été placées en elle. Vivant dans le luxe et le confort, les jeunes Iriadians ne voyaient guère l’intérêt d’aller mourir pour une planète qu’ils n’avaient jamais connue. Baignés dans la culture de leur clan qui valorisait le savoir et le commerce, ils dédaignaient naturellement des valeurs comme le courage guerrier et le sacrifice nécessaire, idées qui leurs apparaissaient comme absurdes et dépassées. Ni Maëlla, ni Jarec, ni Oto Iridian n’avaient la moindre attention de revenir en conquérants sur Tarxis I pour bouter l’envahisseur Condir, bien mieux armé et déterminé qu’ils ne le seraient jamais. Dépitée, la première génération d’Iridian avait dû se résoudre à mettre au point par eux-mêmes la reconquête de leurs terres natales.
C’était donc une population particulièrement âgée qui composait l’équipage du vaisseau spatial maintenant en atmosphère : on y comptait Ermet Iridian, éternel chef de famille inflexible et dur, Sassia, sa fille aînée, Hefinias, son second fils et Ilius, le cadet. Une fille, deux fils. Tel était le schéma des naissances chez les Iridians régnants. Chacun des enfants d’Ermet avait conçu à son tour un héritier dans le même ordre : Maëlla et Oto pour Hefinias, Jarec pour Ilius. Restait Sassia, la préférée d’Ermet qui avait donné naissance sur le tard à la pire affliction que le clan Iridian portait en son sein : Entaris. Entaris était un débauché, un rebelle et un petit effronté, le seul qui osait tenir tête à Ermet lors des réunions familiales. Le souvenir collectif des Iridian devait garder longtemps en mémoire le silence de mort qui s’était abattu dans le salon privé du clan la première fois que la voix d’Entaris s’était élevée pour défier l’autorité de son grand-père. Personne ne contredisait Ermet ; tout le monde en avait bien trop peur pour oser s’opposer à lui, plus encore pour ne pas choisir avec soin les mots et l’intonation de la voix à utiliser lorsqu’on s’adressait à lui. Entaris se fichait de tout cela. Dès le départ, sitôt qu’il fut admit dans le cercle des décideurs du clan à l’âge rituel de seize ans, il s’était imposé comme l’opposant direct d’Ermet, critiquant la plupart de ses décisions et la chape de plomb culturelle que le vieil homme faisant tenir sur sa famille. Entaris n’avait rien pour lui : il n’était pas marchand et n’avait aucun sens du commerce, il n’était pas un grand intellectuel ni un grand guerrier ; ce n’était pas non plus un Mage Stellaire comme sa mère et son oncle Hefinias, cette caste de magiciens qui se nourrissaient de la puissance de l’espace pour créer des sorts extraordinaires ; ce n’était pas non plus un Menta comme son grand-père, capable de modifier les états de conscience de ses interlocuteurs, d’effacer leurs souvenirs ou même de provoquer des commotions cérébrales à distance par la force de son esprit. Entaris n’était rien de tout cela. A dire vrai, il était bien difficile de dire ce qu’était exactement Entaris à part un entêté qui se faisait un devoir de s’aliéner tous les membres de sa famille. Hormis sa mère et Hefinias, plus personne n’avait de considération pour ce qu’il avait à dire. Les deux pauvres avaient d’ailleurs mis leurs économies en commun pour envoyer ce petit voyou jusqu’à Bengalia, capitale de l’empire, afin qu’il y poursuive des études loin des foudres de son grand-père. Sans considération pour le sacrifice que Sassia et son oncle lui offrait, Entaris n’avait rien fait d’autre une fois arrivé à la capitale que sortir, boire, s’accoupler à des jeunes filles aux mœurs légères et rater ses concours d’entrée à tous les cursus prestigieux qu’il aurait dû embrasser. En désespoir de cause, il avait finalement gagné, par on ne sait quel don de la Galaxie Primordiale, son ticket d’entrée dans une institution toute neuve, ouverte par le nouvel empereur Ma’kin II dès son accession au trône, l’Ecole de Planétologie. A ce jour, personne n’avait trop compris ce qu’Entaris y avait appris là-bas ni à quoi son diplôme, obtenu brillamment de façon très étonnante, allait bien pouvoir servir. Lorsqu’on lui posait la question, Entaris se contentait de sourire avec son éternel rictus insupportable et d’annoncer avec nonchalance qu’il devait sûrement s’agir de s’occuper des plantes et des animaux. Même sa mère avait perdu patience la première fois qu’il avait sorti pareille ânerie lors de son retour de Bengalia. Cinq ans d’absence n’avaient pas inculqué les bonnes manières à ce jeune énergumène sans foi ni loi. Pourtant, et de manière évidente pour Ermet, quelque chose avait changé profondément chez lui. Quelque chose de subtil tout autant que viscéral qu’il était certain d’avoir été le seul à voir.
Alors qu’il se tourne une fois de plus vers le fond du vaisseau pour y dévisager Entaris, le vieil homme ne peux s’empêcher de se sentir diablement frustré de ne pas comprendre ce petit détail, ce rouage supplémentaire qui s’est immiscé dans la mécanique intellectuelle de son petit-fils lors de son exode à la capitale impériale. Bien sûr, il y la l’aspect externe, cette éternelle nonchalance qui le caractérise tellement désormais et pour laquelle il a abandonné ses éternelles récriminations ; il y a aussi ce calme qui a pris la place de sa rage d’enfant, cette certitude inébranlable qu’il peut faire face à tout désormais malgré son jeune âge. « Il y a plus en lui que ce qu’il veut bien nous montrer », se dit Ermet. Cette croyance l’inquiète autant qu’elle le rassure sur le potentiel d’Entaris. Quoi qu’il en pense, Ermet ne sera pas immortel et viendra un jour où Entaris prendra la place qui lui est due au sein de la fratrie Iridian. Ce jour-là, mieux vaudra un rebelle capable qu’un incompétent docile. Ermet tente une fois de plus de scruter ce petit-fils qu’il ne connaît plus, de trouver en lui le moindre détail qui le mettrait sur la piste d’une réponse tangible sur ce changement qu’il a noté. Entaris regarde l’espace par le hublot de son siège, perdu dans des pensées qui ne sont à lui. Contrairement à tous les membres du vaisseau, il n’a pas revêtu les traditionnels habits blanc et argent des Iridians mais reste engoncé dans son sombre uniforme cintré de planétologue qu’il a obtenu lors de sa promotion. « Encore un acte de rébellion gratuit » se dit Ermet…ou bien est-ce autre chose ? Comme à chaque fois, la tentation d’user de ses pouvoirs psychiques pour sonder le cerveau d’Entaris le prend ; mais ce serait là violer toutes les lois qu’il a lui même travaillé à faire perdurer sur la sacralité du clan. Briser cet interdit, ce serait renier toute la culture de la famille Iridian et tout ce quoi Ermet croit.
Une nouvelle secousse ramène Ermet loin de ses tergiversations. Par les Galaxies, il a autre chose à faire en ce moment qu’à tenter de percer les secrets de son petit-fils ! Quarante ans à se préparer à la guerre, quarante ans à rassembler des fonds, se renseigner, tuer, torturer, payer des mercenaires, rassembler une armée pour reprendre Tarxis I des mains de Jenariel Condir pour qu’à seulement quelques semaines de l’assaut tant espéré son ennemi de toujours ne le contacte pour lui proposer un marché : lui rendre sa planète natale contre un serment de mettre fin à l’hostilité entre leurs deux familles. Ermet a failli en tomber de sa chaise quand il a entendu les mots prononcés par la projection holographique du chef du clan Condir ; se sont mêlés dans son esprit à la fois la surprise, la méfiance mais aussi l’espoir : revoir Tarxis I, son monde natal, vierge de toute présence ennemie, reconquérir sans un coup de canon spatial cette terre si chère à ses yeux…
Mais bien sûr la méfiance l’a emporté entre tous les sentiments qui se sont emparés de lui. Pourquoi Jenariel lui propose ce traité maintenant sans savoir ce qui se trame ? A coup sûr il a eut vent de l’invasion à venir et veut gagner du temps. Peut-être veut-il que les Iridians perdent du temps à reconstruire leur monde sur Tarxis I pendant qu’il consolidera ses forces pour un nouvel assaut ? Mais ce ne serait pas très malin de sa part : les forces Condir sont si supérieures dans l’espace que Jenariel n’a aucun intérêt à retarder un éventuel conflit. Si vraiment il avait été au courant de l’invasion en préparation, il eut suffit qu’il se prépare à l’assaut en prévision. Bref, cette proposition sent le piège à plein nez depuis le début sans qu’Ermet soit en mesure de comprendre ce que son adversaire ait à y gagner.
« Il est toujours temps de reculer, père. »
Ermet se tourne vers le joyeux Hefinias, l’homme sage et tranquille de la famille. Son fils a pour l’heure troqué son visage souriant pour un masque plein de gravité où se lit l’appréhension du moment à venir. Soudain gagné par un violent élan de compassion et d’amour filial, dont il est d’ordinaire si avare, Ermet pose doucement sa main sur celle d’Hefinias, tâchant de réprimer ses propres tremblements du mieux qu’il le peut.
« Il faut parfois prendre des risques, mon fils…tout du moins lorsque ceux-ci ne sont pas guidés par l’orgueil ou la démesure. »
« C’est un piège, père ; vous le savez comme nous le savons tous. »
« Oui. Mais nous ne gagnerons rien à rester terrés chez nous dans l’expectative du coup à venir. Parfois, il vaut mieux affronter le danger de face que de le laisser venir à nous. »
« Le tout c’est de pas manquer de bol sur le danger en question. »
Ermet laisse échapper un petit rire sans joie tout en tapotant la main de son fils. Tout était joué désormais ; ils étaient venus, sans plus aucun espoir de fuite en cas de coup dur. Toute tentative de partir dans l’espace se solderait par une course poursuite entre leur vaisseau et les bolides du clan Condir qui tournerait forcément en leur défaveur. Si tant est que les balistes laser anti-aériennes leur laisse le temps d’attendre la stratosphère. Bien sûr, Ermet avait exigé des garanties pour sa sécurité et celle de sa famille ; Jenariel lui avait juré ses grands dieux que leur rencontre se ferait sous la supervision de l’empereur, ce que l’informateur des Iridians de Bengalia avait confirmé. Mais ça ne prouvait rien. Le silence de l’empereur Malik IV montrait bien le peu d’intérêt que la couronne impériale montrait pour le sort des Iridians. Ils pouvaient être tous massacrés aujourd’hui, Ma’Kin II ne bougerait pas pour autant le plus petit doigt afin de leur rendre justice. « Bah », se dit Ermet, « autant jouer le jeu jusqu’au bout ».
Arkies – Zamal Prologue (2)
Ambiance Musicale : Pyotr Ilyich Tchaikovsky, 1812 Overture
Ermet ne dit rien. Passée l’émotion initiale, il est comme vidé de ses forces. Pourquoi ? Pourquoi cette folie ? Il aurait pu tout accepté : le pillage, le meurtre de ses gens, le fait qu’on ai vendu en esclavage tous ceux qui vivaient sous la bannière Iridiane, que tout ceci ne soit qu’une embuscade destinée à abattre les chefs de la famille ennemie des Condirs…mais ça, non, pas l’anéantissement pur et simple de Tarxis I. Même le pilote du vaisseau, un vétéran des guerres rivales entre Ermet et Jenariel choisi pour l’occasion, en perd l’usage de ses membres et laisse les commandes à la dérive. Heureusement, le pilotage automatique du vaisseau prend le relais et entame sa descente jusqu’au point de rendez-vous. Assommés par leur découverte, les Iridians ne réagissent même pas lorsque leur appareil volant se rapproche du fleuve Reminia vers les seuls bâtiments encore debout sur le sol de Tarxis I, une rangée d’usines immenses qui vomissent chacune leur flot de fumée noire en continu. Sur le bord du fleuve, tous peuvent apercevoir de nombreux vaisseaux lourdement armés, la flotte personnelle de Jenariel Condir. Une immense masse de gens semble se tenir juste derrière les vaisseaux ; devant la garde d’honneur Condir, Une silhouette se détache de l’ensemble légèrement en avant. Il ne faut qu’une seconde à l’ensemble de la famille Iridian pour comprendre qui est ce personnage : posté tel un conquérant invulnérable, Jenariel est là, sans garde ni défense dans ses habits blanc éclatants, comme un défi, une gifle jetée à leur visage.
Le vaisseau se pose au sol, lourdement. Pas un ne bouge. Inconsciemment, ils attendent de voir comment Ermet va réagir, quel sera l’exemple à suivre, à qui se raccrocher alors que la bataille qu’ils mènent depuis quarante ans n’a désormais plus de sens puisque tout ce pourquoi ils voulaient se battre à été détruit. Un froissement de tissu fait tourner toutes les têtes vers le fond du vaisseau : c’est Entaris qui vient de se lever, le visage toujours impassible, imperméable à l’émotion qui étreint toute sa famille. Il se met debout, réajuste son costume noir, s’avance sans aucune hésitation jusqu’au siège de son grand-père, lui toujours livide.
« Allons-y. »
La phrase résonne dans l’habitacle du vaisseau silencieux. Elle sonne comme un ordre qui vient rendre vie à ces corps désincarnés où toute force semble maintenant absente. Déglutissant avec peine, Ermet inspire longuement, réprime les larmes une fois de plus de couler sur ses joues. « Je dois être digne, je dois être celui qui soutient la famille » se dit-il alors qu’Entaris l’aide à se mettre debout. Le vieux patriarche découvre ses jambes chancelantes, il a du mal à ne pas s’effondrer. Se raccrochant au bras de son petit-fils, il ne pense plus à rien d’autre qu’à faire bonne figure et sauver les apparences. Le cerveau en berne, il avance comme un automate vers la sortie du vaisseau dont la porte s’ouvre automatiquement, se changeant en passerelle qui les guide jusqu’au sol.
L’acidité de l’air les prend à la gorge dès le premier pas dehors. La lumière orange et crue du ciel, tellement différente du ciel bleu et pur du souvenir d’Ermet, semble jeter un regard malade sur le sol dévasté. Enfin, le vieil homme relève la tête ; au loin, la première chose sur laquelle ses yeux se posent est le visage calme et mauvais de Jenariel Condir. Ho comme il savoure cet instant…comme est visible sur son visage le plaisir pervers d’infliger la douleur la plus violente, la plus intime qu’il pouvait imaginer à ses adversaires. Le simple fait de voir l’état dans lequel le fier Ermet Iridian est réduit suffit à justifier toutes ces années de labeur à détruire savamment tout l’écosystème de Tarxis, faire le deuil des richesses qui aurait eut à régner sur ces terres plutôt que de parfaire son entreprise nihiliste. Droit et digne, Jenariel ne détache pas une seconde ses yeux du visage défait de son ennemi, qu’à chaque fois que celui-ci trouve le courage de relever la tête ce soit pour affronter de face le regard du vainqueur.
Ils sont à trois mètres l’un de l’autre maintenant. Les vapeurs nauséeuses qui s’échappent de la croute terrestre font tousser légèrement Ermet qui se sent plus vieux que jamais. Il n’a plus rien, plus d’endroit où rentrer chez lui désormais. L’espace vital de son monde natal lui a été ravi, ouvrant une blessure d’une force insoupçonnable en lui.
« Et bien vous êtes venu, Monsieur Iridian ! »
La voix de Jenariel, claire et forte afin que tous puisse l’entendre, résonne dans la plaine vide et nue. Comme les accents de ses mots sont durs et méprisants…il a tout gagné aujourd’hui et entend profiter pleinement du point d’orgue de quarante années de vengeance savamment orchestrée.
« Je suppose que votre présence ici veut dire que vous acceptez mon offre, Ermet. Vous voyez, je n’ai pas menti : je vous remet officiellement les clefs de votre chère Tarxis I ! »
Son rire qui fuse couvre même les cris des machines qui émanent des usines au moment où elles exhalent toutes à ce moment une longue colonne de fumées noirâtres. Tout est réglé au détail dans cette parodie d’accord diplomatique qui n’est qu’un long rituel destiné à humilier son ennemi. Jenariel tend vers Ermet et Entaris, qui n’a pas bougé ni quitté son air placide, un antique bout de papier. Ce bout de papier, c’est l’acte de propriété de Tarxis I, volé par l’envahisseur Condir lors de l’invasion. Triomphant, Jenariel parcoure d’un pas souple la distance qui le sépare du vieil Iridian et de son petit-fils, comme pour offrir le parchemin.
« Il vous suffit de prendre cet acte qui atteste de la reconnaissance impériale de vos droits sur ces terres mon bon Ermet. Un petit bout de papier pour tout ceci. »
Dans une pose théâtrale, Jenariel ouvre grand les bras sur la planète dévastée comme si il offrait un objet d’une immense valeur pour une somme dérisoire.
« Evidemment vous aurez noté la présence ici d’un émissaire de sa Majesté l’Empereur. »
Du doigt, le chef du clan Condir désigne un individu au port austère qui se tient juste à côté de la garde personnelle de Jenariel, flanqué de ses quatre gardes en armure spatiale.
« Ce noble émissaire a le devoir de témoigner du strict respect de notre accord. Voyez-vous, Sa Majesté tient à la paix impériale plus que tout et verrait d’un œil très…contrit que moi – ou vous – ne revienne sur sa parole de cesser toutes hostilité entre nos deux clans. »
Le sourire lui mange le visage. La présence d’un authentique préfet impérial en dit long sur les bons rapports qui existent désormais entre le pouvoir central de l’empire et le clan Condir. L’Empereur ne traite qu’avec les vainqueurs. Le vieil adage séculaire est encore d’actualité. Tenter quoi que ce soit, c’est se déclarer criminel envers l’empire.
« Allez Ermet, un peu de courage ; il vous suffit de prendre le papier et tout ceci ne sera qu’un mauvais souvenir. Qui sait, peut-être pourrons-nous à l’avenir muer notre petite querelle en un partenariat fructueux ? Votre sens des affaires, typiquement Iridian, devrait vous souffler que c’est sûrement la bonne solution, non ? »
Le maelström d’émotions qui étreignait Ermet se calme d’un coup face à la lucidité de ce qu’il vient de décider de faire. Bien sûr que c’était un piège : ce traité inacceptable ne pouvait le mener qu’à vouloir tuer Jenariel ici et maintenant. Il en a le pouvoir, sa puissance psychique le lui permet. Mais l’abattre dans un océan de douleur cérébrale comme il en trépigne désormais veut dire devenir un paria de tout l’empire, si ce n’est provoquer le courroux de Ma’Kin II qui enverra ses puissants soldats balayer son clan. Reste la probabilité de tuer l’émissaire impérial juste après avoir occis Jenariel. Ses quatre gardes en armure spatiale sont capables de dévaster un régiment entier et aucun homme d’arme, Condir ou Iridian, ne saurait leur résister. Mais Ermet a pour lui deux Mages Steallaires de premier choix, sa fille Sassia et son fils Hefinias. Leur puissance magique, s’ils sont prompts à réagir et coordonner leurs actions, peuvent avoir raison des gardes impériaux. Le reste…le reste suivra.
Avec le calme que les situations désespérées amènent parfois dans le cœur des hommes, Ermet ne réfléchit plus à rien si ce n’est la séquence de combat qu’il s’apprête à initier. Il n’est plus temps de penser à une sortie raisonnable ou sage, il veut du sang, que justice soit faîte contre celui qui a massacré non pas son peuple mais sa planète entière. D’abord, prévenir ses enfants par contact mental, passer les ordres d’attaque sur les gardes impériaux, envoyer toute sa force psychique dans une vague destructrice qui tuera Jenariel sur le coup, dire au pilote du vaisseau qui les a amené ici de faire feu sur l’appareil du préfet impérial. Le vieil homme calcule mentalement les variables, la marge d’erreur : il y a bien sûr le cercle de métal doré qui ceint le front de Jenariel ; outre le côté esthétique, ce cercle le protège des attaques mentales d’Ermet ; il faudra le faire sauter avant d’atteindre les neurones de son ennemi. Il faudra aussi que ses enfants soient rapides, très rapides, plus encore que les gardes impériaux qui sont choisis parmi les meilleurs combattants de tout l’empire et qui sont sûrement rompus au combat par les douze années de guerre civile qui s’est achevé il y a peu. Ni Sassia ni Hefinias n’auront de seconde chance et leur attaque commune doit être décisive. De même, le vaisseau impérial est infiniment plus rapide que celui des Iridian ; si jamais le pilote devait rater son coup et que le vaisseau de l’émissaire parvenait à prendre l’espace, combien la colère de l’Empereur serait grande ! Mais l’Empereur est loin et le temps qu’une enquête arrive jusqu’ici, Ermet aurait eut trois fois le temps de trouver une raison plausible à la mort du préfet.
Ça y est, tout est en ordre. Dans quelques secondes, Ermet passera son ordre mental et le calme silencieux de cet instant se muera en tempête chaotique. Il faut penser à tout, ne pas négliger un détail qui se révèlerait crucial dans le combat à venir, rassembler son courage, prier les Galaxies que tout se passe bien et…
« D’accord ! »
Prenant tout le monde de court, la voix claire et nette d’Entaris résonne aux oreilles de tous ceux qui se sont rassemblés sur le sol de Tarxis I. Dans la surprise générale, il arrache des mains de Jenariel le papier qui marque la possession du clan Iridian sur la planète, signant par là l’accord entre les deux parties, et commence à courir.
« Mais… »
Le chef du clan Condir, tout autant que le reste de l’assemblée, en perd ses mots. Perdu dans ses stratagèmes et les expectatives, lui comme Ermet ne s’attendaient en aucun cas à ce que le cours des choses soit repris brusquement en main par le fils terrible de la famille Iridian. Celui-ci, suivi des yeux par tous les témoins des évènements, continue de courir comme un possédé vers le fleuve Reminia, derrière lequel se trouvent les usines. Si quelqu’un avait eut la chance de le voir de face et non de dos comme tout le monde, il aurait eut la surprise de voir Entaris enfin quitter son air nonchalant pour arborer un large sourire.
« Entaris ! »
La voix de Sassia tente de rattraper son fils en fuite, son fils qui vient de prendre en main, par son action catastrophique, le destin de son clan. C’est avec la même stupeur que le reste de la famille sortie aux abords du vaisseau clanique qu’elle le voit s’arrêter aux abords du fleuve pollué au possible. Et se déshabiller. D’un geste, il ôte sa veste, ses bottes, déboucle sa ceinture, enlève son pantalon et se retrouve en un rien de temps nu comme un vers.
La perte de ses vêtements vient marquer dans l’esprit de tous ceux qui ont assisté à la scène qu’Entaris a définitivement perdu la tête. S’ensuit un chaos général ponctué par les cris de Sassia, les questions frénétiques de Jarec, les gardes Condirs qui arment leurs fusils laser pour se parer à toute éventualité décisive et absurde de la part des Iridians. En une seconde, les actions folles d’Entaris ont mis le feu aux sensibilités froides des diplomates rassemblés dans cette pièce orchestrée par Jenariel Condir.
Dans le brouhaha qui se change en cohue, Ermet ne sait plus que faire. Il y a la surprise, bien sûr, mais aussi la colère vis-à-vis de son petit-fils, le sentiment que maintenant tout est perdu. Son plan d’assassinat de Jenariel lui est d’ailleurs tout à fait sorti de l’esprit. S’il avait eu le sang froid d’analyser la situation dans son ensemble, il y aurait pourtant vu le moment parfait pour passer à l’action. Il aurait vu également le prefet impérial, contrairement à tous les autres, porter sur Entaris non un regard de surprise ou de consternation mais celui d’un espoir latent, l’attente impatiente de quelque chose pour laquelle il était vraiment venu depuis la capitale impériale.
L’acte final de cette pièce absurde commence par un léger tremblement du sol qui se mue en une violente secousse continue. En quelques secondes, le tremblement de terre assourdi les oreilles de tous ceux qui sont présents ici alors que des failles apparaissent ça et là. Projetés au sol pour la plupart, les témoins de la passation de pouvoir ne pensent plus qu’à se mettre à l’abri du danger. Ermet lui même est à genoux. Avec stupeur, il ressent une sensation bizarre au niveau des mains sans en comprendre la nature. Ce n’est que lorsqu’elle se met à pousser à toute vitesse autour de lui qu’il comprend ce que ses doigts touchent : de l’herbe. De l’herbe est en train de pousser à l’œil nu tout autour de lui. Puis le chaos s’accélère : dans un craquellement omniprésent, des arbustes se hissent hors de terre, de petits arbres apparaissent. Alors que les secousses sismiques n’ont rien perdu de leur force, un immense tronc jaillit, propulsant le vaisseau amiral des Condirs dans les airs. Cet arbre titanesque fait bientôt dix, vingt, trente mètres de haut. Ermet a maintenant la vue obstruée par les hautes herbes tout autour de lui. Relevant la tête dans l’espoir fou de trouver quelqu’un qui puisse le tirer d’affaire, tout du moins lui expliquer ce qui est en train d’arriver, ses yeux tombent sur Entaris. Celui-ci n’a pas bougé, n’est pas tombé au sol. Il est désormais nimbé d’une aura de lumière verte dont la puissance est visiblement en dépit de la distance. Ses poings, qu’il maintenait jusque là fermé contre lui, s’ouvre brusquement vers le ciel au moment où une dizaine d’arbres titanesques crèvent dans le même temps le toit des usines dans le lointain, provoquant par ricochet leur explosion dans un concert rugissant à l’harmonie dévastatrice mais parfaite.
La cacophonie s’estompe après ce final grandiose, la végétation continuant de croître, libre, mais à un rythme moins effréné qu’elle ne l’a fait ces dernières secondes. Les cris et les gémissements des hommes se font maintenant entendre par dessus le vacarme de la nature en furie. Ils cessent presque immédiatement devant le spectacle qui s’étale sous leurs yeux. Tout autour d’eux, le paysage de cauchemar s’est changé en une plaine verdoyante ; les usines qui crachaient leur fumée noire dans le ciel sont toutes détruites, désormais couvertes de végétation luxuriante. Et il y a Entaris. Entaris qui n’a rien perdu de son aura à la puissance terrifiante et que chacun ici, du fond de son instinct primal de survie, sait qu’il peut tous les balayer s’il le désire.
Il est de dos, se retourne alors que les gens tentent de se remettre debout, les jambes flageolantes sous l’effet de la peur. Le visage impassible, toujours empreint de la froideur qui est la sienne, il lève bien haut l’acte de propriété qu’il a pris des mains de Jenariel Condir quelques instants avant.
« Mon nom est Entaris Iridian ! Ce papier atteste le fait que je suis désormais possesseur de cette planète ! »
Personne n’ose lui répondre, tout le monde attend de voir ce que cet être qui a la puissance de rendre vie à une planète entière va décider de leur sort.
« Alors foutez le camp de chez moi ! »
Arkies 01 – Zamal 00 (1)
Ambiance Musicale : Ike & Tina Turner, Rolling on the river
Le texte intégral est à récupérer ici
« Puis-je savoir, Monsieur Bazir, ce qui provoque votre hilarité ? »
Ton sec, usage du dénominatif « monsieur », accentuation de l’élément qui le perturbe, tous les signes sont clairs : le seigneur est furieux. Sans quitter son sourire, Garon se tourne vers celui qui l’interpelle.
« Je comprends votre inquiétude, Monseigneur, mais ne vous en faites pas, tout se passera bien. »
Les deux hommes se jaugent du regard, Kenyl Arkies tentant de percer le mystère de la réponse de son conseiller, Garon espérant que sa petite tirade ne le mettra pas, une fois de plus dans la disgrâce seigneuriale. Certes, le seigneur est aussi prompt à se mettre en colère qu’à pardonner, mais l’entre-deux n’est jamais très plaisant.
« Je souriais car je pense à l’amusante similitude de notre voyage et celui qui a conduit la famille Iridian sur le sol de Tarxis I il y a quelques semaines. Ma remarque venait du fait que je comprends l’angoisse qui vous étreint et qui se change en agressivité à mon égard. Vous avez peur de ce que vous ne pouvez contrôler et vous l’exprimez en vous en prenant à moi. C’est une réaction très naturelle. »
« Mais indigne de ma personne, c’est ce que vous sous-entendez Garon ? »
Il m’appelle « Garon », ça veut dire qu’il écoute. L’émotion rageuse est passée.
« Je ne porterai pas un tel jugement sur celui que je sers, Monseigneur. Les divers sentiments qui vous animent sont tout à votre honneur. »
« Et quels sont-ils je vous prie ? »
« Puis-je les exprimer librement ? »
« Garon, cessez ces simagrées et parlez bon sang ! »
« Bien. Vous êtes inquiet car depuis l’incident Tarxis I toute la politique impériale est révélée au grand jour. Les Planétologues, ces Mages Stellaires qui faisaient rire les magiciens de l’ancienne école, ont démontrés qu’ils possédaient une puissance de très loin supérieure à tout ce qui nous connaissions jusqu’ici. A l’heure actuelle nous ne sommes pas en mesure de déterminer jusqu’où ils peuvent aller mais nous pouvons logiquement déduire qu’un seul de ces Planétologues peut aisément venir à bout de toute votre garde rapprochée, voire d’un bout de votre armée. A ceci s’ajoute le fait que l’Empereur Ma’Kin II leur a conféré le titre de régisseur impérial. A leur puissance militaire il faut donc leur adjoindre une force politique majeure en ce sens qu’ils sont les yeux et les juges de l’Empereur désormais et vont tout faire pour juguler les visées d’indépendance des Grandes Maisons comme la vôtre. Tout ceci est nouveau et nous met dans une position très délicate pour les négociations à venir. Par son caractère novateur, cet axiome de la diplomatie vient en outre brider l’une des forces majeures de la Maison Arkies qui est justement son jeu politique et ses alliances. Pour faire bref, nous serons peu ou prou désarmés face à la décision de l’Empereur qui nous prive de notre meilleure arme. S’ajoute à ceci ce rendez-vous très surprenant sur Ankwane imposé par l’Empereur. Surprenant car cette planète a été la nôtre pendant un moment jusqu’à ce que la Grande Maison Zamal ne nous la reprenne par la force il y a trente ans pour finalement la laisser autonome. »
« Sous le contrôle d’un de leurs laquais vous voulez dire ! »
« Certes Monseigneur mais le geste est important. Le passé de cette planète n’est pas neutre et vient raviver en vous la volonté de la reconquérir. Qui plus est, nos espions nous ont affirmé que le Seigneur Zarakis Zamal sera présent lui aussi. Tout pousse donc à croire que l’enjeu de cette rencontre sous l’égide de l’Empereur sera le sort d’Ankwane et que nous y sommes directement liés. »
« Hum…ça ne me rassure pas spécialement que sa Majesté n’ait pas eu la volonté de nous prévenir de la présence de nos belliqueux voisins. Ça sent l’entourloupe. »
« Peut-être Monseigneur, mais ce n’est pas sûr. Il peut s’agir d’une simple erreur protocolaire de la part de cet Entaris Iridian. »
« Une erreur protocolaire venant d’un régisseur impérial ? »
« Un régisseur impérial sans formation politique, et très jeune qui plus est. »
« Oui, ce n’est pas ce qui m’inquiète le moins ; des décisions importantes vont être prises là-bas par un gosse qui ne comprend rien des affaires de ce monde… »
« Ou un porte-parole docile qui joue le jeu de l’Empereur sans se poser de questions, c’est à voir. A tout ceci s’ajoute notre antagonisme atavique à l’encontre de la Grande Maison Zamal, le caractère farouche de Zarakis, ses très bonnes relations avec Ma’Kin II.»
« Qu’il a littéralement mis sur le trône… »
« C’est un peu exagéré Monseigneur, mais il a eu son rôle à jouer c’est certain. Bref toute cette situation n’est clairement pas à notre avantage sur le papier, surtout lorsque viennent se plaquer dessus les peines de cœur de Mademoiselle votre fille qui vous taraudent plus que vous ne voudriez bien l’admettre. »
Le visage aquilin de Kenyl Arkies se renfrogne dans une attitude boudeuse que tant de caricaturistes ont utilisée à leur avantage tout le long de son règne. Amusant personnage que cet homme de pouvoir, à la fois fasciné par la force, l’argent et le pragmatisme mais pourtant dirigé par des sentiments autrement plus humains et capable de remise en question sans orgueil. L’origine de la citation « Je reconnais la grandeur d’un homme à sa capacité à reconnaître ses erreurs » s’était perdue dans les limbes de l’histoire mais cette parole de sagesse avait souvent guidé Garon dans ses choix ; celui de servir le seigneur Arkies était de ceux-là tant cet homme, pourtant bougon en diable, savait l’appliquer à lui-même.
« Que devrais-je faire, Garon ? Oublier Célia et me concentrer sur les affaires de la maison ? C’est ce qui serait le plus sage, non ? »
« Monseigneur, ce serait le moins sage dans le cas présent : nous ne pouvons rien faire pour enrayer ce qui va se passer dans les heures à venir, les dés de cette rencontre sont déjà jetés. Ce qui sera par contre primordial, c’est d’être réactif, de glaner un maximum d’information et de préparer notre réaction à ces évènements. Et pour ce faire, vous aurez besoin de toute votre concentration. Je vous suggère donc de remédier au plus vite à ce qui vous est accessible, c’est à dire à votre trouble vis-à-vis de votre fille. »
La face de Kenyl Arkies se détend brusquement, comme apaisée. Il se lève, marche jusqu’au siège où est assis Garon et pose sa main sur l’épaule de son conseiller.
« Il y a des jours où je me demande pourquoi je vous supporte encore, Bazir, et des jours où je me demande ce que je ferais sans vous. »
« Espérons que les seconds sont plus fréquents que les premiers, Monseigneur. »
« Taisez-vous Garon ou je vous fais manger votre barbe. »
D’un pas vif, le seigneur Arkies marche vers la porte à triple blindage qui sépare sa suite du reste du vaisseau. A son entrée, tous tournent les yeux vers le chef de file de leur Grande Maison. Non sans une certaine fierté, Kenyl fait un tour d’horizon de tous ceux qu’il a prit avec lui pour cette mystérieuse réunion entre lui, Zarakis Zamal et Entaris Iridian : viennent d’abord Joralie Kamen et Dartas Huji, les deux meilleurs Mages Stellaires de du Sud-Est de l’empire, deux fine fleurs tout droit sorties de la prestige Myraguill, la plus grande école de magie de l’empire. Merveilleux duo s’il en est entre cette diplomate capable de subjuguer les foules et ce héros de guerre dont la lance de bataille est devenue légende.
Dans la rangée suivante, se tient droit comme un « i » le général Murpugo, un colosse bête comme un militaire lorsqu’il s’agissait du protocole mais incroyable meneur d’homme dans le feu de l’action. Juste à côté du général, jetant sur le seigneur un regard aussi étonné qu’au premier jour, Kamal, homme-enfant au physique sans âge, totalement blanc des cheveux au pieds. Création génétique de la Grande Maison Rim, Kamal a fait le sacrifice de son corps pour acquérir des pouvoirs psychiques bien au-dessus de tout ce que les psis ordinaires peuvent rêver d’acquérir.
Le regard attendri de Kenyl sur cet être hors du monde et condamné dès la naissance à remplir un rôle qu’il n’a pas pu choisir glisse sur Ethania Arkies, sa femme. Ses yeux à elle sont glacials et durs ; il n’y a jamais eu d’amour entre eux, simplement un mariage arrangé avec la Grande Maison Galiossa. Comme a dû être grande sa tristesse lorsqu’elle a apprit qu’elle n’épouserait pas un prince aventurier, cultivé et romanesque comme le sont les élites des Galiossa, mais le seigneur des Arkies dans sa lointaine province de l’Est de l’Empire. Chaque jour, Ethania rappelait à Kenyl Arkies combien ce choix sur lequel elle non plus n’avait pas eu d’emprise lui avait coûté et à quel point elle regrettait ses rêves de jeune fille.
Mais s’il ne l’aimait pas, le seigneur Arkies avait appris à respecter sa femme, son maintient impérial, sa grâce, son intelligence. Force est par contre de constater que l’inverse n’est pas vrai : lasse d’être trompé au gré de la première jeune fille légère qui tombait dans les bras de son mari, Ethania s’était réfugiée de plus en plus dans une attitude méprisante et cassante à l’encontre de son mari, sans jamais tomber dans la vindicte publique, mais lui faisant payer très cher dans le privé ses écarts de conduite. D’après Garon, tout ceci n’était toutefois qu’une excuse pour se venger d’une autre décision de Kenyl : avoir retiré à Ethania ses enfants. Le seigneur Arkies avait en effet, dès leur plus jeune âge, envoyé ses héritiers potentiels dans des colonies Arkies lointaines afin de les maintenir loin de l’appât du pouvoir. Seule Célia, l’aînée et le successeur direct du pouvoir était resté. Or Ethania chérissait les trois fils qu’elle avait donné par devoir à Kenyl ; elle avait tout tenté pour les garder auprès d’elle mais ni ses suppliques ni ses menaces n’avait fait plier le seigneur Arkies. Celui-ci passe donc du plus vite qu’il le peut les yeux sur le visage de sa femme pour fuir son ire sempiternelle.
Il tombe sur Joris Leven, son petit protégé : primé de tous les concours universitaires Arkies, le jeune Joris avait gagné par la force de son mérite sa place au sein des décideurs de la Grande Maison. Il était ambitieux, rapide à prendre les bonne décisions et toujours de bon conseil. Garon le détestait mais Kenyl était certain que c’était avant tout par jalousie. Il voit en Joris un fils spirituel qui, parti de rien, démontre par l’exemple que tous au sein de la Maison Arkies peuvent atteindre le sommet. Puis, enfin, précieuse entre toutes, la fille adorée du seigneur, Célia Arkies. Célia et ses grands yeux bleus, Célia et son port de princesse, Célia qui déclenchait l’admiration partout où elle passait. Elle avait le charisme de ces femmes qui vous font détourner le regard tant leur beauté vous renvoie votre propre médiocrité esthétique, des ces femmes qui lorsqu’elle rentre dans une pièce capte toutes les attentions, de ces femmes qui lorsqu’elles vous regardent vous donnent l’impression d’avoir une raison d’exister.
Avec une moue joyeuse, le seigneur Arkies fait un signe à tous de retourner à leurs occupations. Lorsqu’il s’assied à côté de sa fille, il ressent comme à chaque fois la douce chaleur interne qu’elle procure à tous ceux qu’elle aime. Solaire et empathique, Célia ajoute à son physique une âme pure et altruiste, trop tranchée mais non sans douceur. Et dire qu’on lui a dit « non », qu’un goujat venu d’on ne sait où l’a fait pleurer, elle. Ô combien Kenyl aurait voulu tuer de ses mains celui qui a fait pleurer sa fille chérie. Mais Garon lui avait, une fois de plus entendre raison et il avait fallu abandonner ses désirs de vengeance. Il lui faut maintenant s’assurer que Célia va bien.
« Comment se porte ma fille aujourd’hui ? »
« Votre fille se porte bien, père. »
« Tu as enfin oublié ce malotru qui t’as abandonné ? »
« Non père, j’y pensais justement. Je me disais à quel point j’avais de la chance d’avoir été amoureuse et blessée de son départ. »
« Je te demande pardon, Célia ? »
Celle-ci pouffe de rire alors que l’intonation mièvre de la voix de son père s’est muée en pique courroucée. Comme à chaque fois qu’il s’écoute parler, il utilise un langage très châtié qui devient soudain très ordinaire dès qu’il s’énerve.
« Je pensais à la chance qu’on ceux qui sont tristes lors de leur rupture. La plupart des gens vous diront que celui qui est de bon côté de la barrière est celui qui souffre le moins mais je pense que c’est faux. Les vrais vainqueurs sont ceux qui se sont le plus investis, ce sont ceux qui ont pris le meilleur, le plus fort des émotions qu’ils ont partagé et peu importe le malheur à la fin. »
« Hum…en gros tu pleures quand c’est fini mais tu en d’avantage profité lorsque ça durait. »
« C’est très schématique père mais oui, c’est cela. », rétorque Célia toute sourire.
« Ha ne commence pas à parler comme Garon, veux-tu ! »
« Oui, père. »
Elle a dit ça sur le ton de la petite fille soumise mais tout son visage est rieur, comme une gentille moquerie qui est depuis longtemps leur petit jeu à eux deux. L’effet cesse la bouderie du seigneur Arkies aussi vite qu’elle est venue.
« Parlons un peu de ta formation ma fille. Qu’envisages-tu de faire ? Tu as l’âge désormais de poursuivre de hautes études et au vu de tes capacités cérébrales, très au-dessus de celles de ton pauvre papa, je crois que tu n’as l’embarras du choix. »
« Je ne sais pas père, quel rôle sera la plus utile à la maison ? »
« Ha non, pas de ça ! Je veux que ma fille fasse ce qu’elle désire, pas qu’elle fasse un choix contraint. La question n’est pas de savoir ce qui est bon pour toi mais ce que tu désires faire. »
« Ne croyez-vous pas qu’il est incongru de votre part de me dire tout ceci alors que vous même n’avez été guidé dans vos choix que par le devoir de servir votre rang et notre famille ? Ne croyez-vous pas qu’il est dangereux de dire tout ceci alors que ma mère et vous avez fait tant de sacrifices au nom de la réussite de nos entreprises ? »
« Alors c’est mon tour de te prendre à défaut ma fille : c’est justement parce que nous avons fait tout cela qu’il est de ton droit de profiter de la vie, d’en faire ce que bon te semble et de ne pas payer le prix que j’ai déjà réglé. »
« Vous et ma mère. »
« Oui, oui, ta mère aussi. »
« Je pourrais épouser que je désire ? »
« Evidemment ! »
« Même un roturier ? »
« Même un…heu, je ne sais pas. Oui, oui, pourquoi pas ; je t’avoue que je préfèrerai un noble d’où qu’il soit mais je pense que tant que tu l’aimeras l’essentiel sera là. »
« Et je pourrais avoir autant d’enfants que je le désire ? »
« Bien sûr ! Quelle question. »
« Et les garder auprès de moi, tous ? »
Kenyl Arkies marque une pause. Voilà le fond du problème. Il est là, le test ultime de sa liberté qu’il dit lui offrir mais qui a bien sûr ses limites. D’instinct, il voudrait lui dire que les choses ne sont pas si simples, qu’elle est jeune et naïve, qu’elle ne connaît pas les histoires terribles qui remplissent les livres d’histoire de l’Empire, les complots, les trahisons fraternelles, les assassinats. Les Grandes Maisons ne sont pas de simples Maison Impériales qui règnent sur un système spatial, encore moins des Clans qui n’ont pour toute richesse que quelques planètes au mieux. Non, les Grandes Maison de l’Empire sont des nations bien plus vastes, bien plus puissantes, bien plus riches et tout ceci fait aisément vaciller les esprits. Si tu savais ma fille ce que j’ai vu de mes yeux, mon propre frère qui a tenté de mettre fin à mes jours alors que j’allais accéder à la tête de la Maison et que j’ai dû faire enfermer moi-même pour ne pas avoir à le tuer. Crois-tu que j’ai privé ta mère de la joie d’avoir ses fils auprès d’elle par quelque jeu pervers de la voir souffrir ? Penses-tu que je n’ai pas été blessé moi aussi d’avoir abandonné mes enfants dans le seul but de protéger ton existence ? Tu es ma préférée, tu l’as toujours été, tout le monde le sait. Mais cela n’enlève rien à la douleur des choix qui ont été les miens. Tu apprendras toi aussi, et le besoin de ce genre de décisions et le prix à payer. Que les Galaxies fasse que ce soit le plus tard possible, ma douce Célia, mais cela viendra, soit en sûre.
« Nous verrons le temps venu, ma fille. »
Célia hoche la tête, consciente de tout ce que sous-entend la réponse de son géniteur, le non-dit de son opposition qu’il n’a pas le courage de formuler tout haut. Elle sera le seigneur de la Maison Arkies un jour, et ce jour là, comme le dit son père, nous verrons.
Arkies 01 – Zamal 00 (2)
Ambiance Musicale : Ike & Tina Turner, Rolling on the river
« Garon ne sait pas tout. »
« Non, mais il est le seul qui ait grâce à vos yeux, père. »
« Ne veux-tu pas plutôt savoir ce que j’en pense moi plutôt que mon conseiller ? »
« Vous êtes jaloux, père ? »
« Un peu ma fille. J’en ai assez que tout le monde pense que je ne suis qu’un imbécile bougon qui se contente de faire tout ce que son précieux Garon Bazir lui dicte. »
« Est-ce votre cœur qui parle ? Je croirai entendre plutôt un reproche de ma mère. »
« Peut-être bien. A dire vrai, ni Garon ni moi ne savons vraiment ce qu’il va advenir une fois que nous serons sur cette maudite planète mais nous serons assez vite fixés. Ma méfiance proverbiale me dicte de prendre garde à cet ordre impérial, aussi brusque qu’unilatéral. »
« Qu’avons-nous à craindre ? »
« En théorie pas grand-chose. Nous n’avons commis aucun crime envers l’Empereur, nous sommes puissants et il a besoin de nous. »
« Mais ? »
« Mais la forme c’est le fond qui remonte à la surface ma fille. », répond Kenyl, brusquement plus grave. « La façon dont le message nous ordonnant de nous rendre sur Ankwane n’était ni fin politiquement ni ne laissait de place à la discussion. Je pense que l’Empereur, par la voix de son régisseur, cet Entaris Iridian, va nous imposer quelque chose par la force. Espérons simplement que notre brave Planétologue ne se mette pas à faire pousser des plantes partout dans notre vaisseau sinon l’Empereur lui-même entendra parler de moi. »
Célia pouffe de rire à nouveau mais rien ne vient dérider le visage désormais austère de son père. L’imminence de leur arrivée sur Ankwane est venue raviver ses angoisses quant à la sécurité de ceux qu’il a emmené avec lui. Si ceux qui sont présents dans le vaisseau venaient à mourir, ce serait la tête même de la Grande Maison Arkies qui serait instantanément décapitée. Et puis, même s’il rechigne à l’admettre, sa discussion avec Célia a fait surgir en lui des images qu’il aurait voulu oublier à jamais, celle de ses fils tout bébés qu’il tient dans ses bras, la sensation de leur peau dans ses grosses mains, leur odeur de nouveau-né, leurs gestes maladroits qui sont autant d’occasions de s’attendrir. Kenyl se souvient de chacun d’eux très précisément, bien plus qu’il ne l’aimerait. Sa décision de se séparer d’eux a été pour lui un déchirement, comme la section d’une portion de lui-même. Pas un jour ne passe sans qu’il ne pense à eux, aussi futiles que fussent ses remords désormais.
D’un coup, une vive animation semble émaner de la cabine de pilotage du vaisseau. Un homme de bord arrive au pas de course, salue le seigneur d’un geste impeccable.
« Une communication du régisseur impérial Entaris Iridian vous attend, Monseigneur. Le régisseur impérial dit que c’est très urgent. »
Kenyl hoche la tête, lassant ses sombres pensées refluer dans les méandres de son esprit pour se focaliser sur les évènements à venir. Enfin, on y était ! Place à l’action et aux révélations désormais. D’un pas vif, qui se veut rassurant pour le reste de l’équipage qui n’a rien perdu de l’importance de l’échange, Kenyl suit le navigateur jusqu’à la salle de commande du vaisseau spatial. Dans sa tête, mille possibilités s’échafaudent, mille façons d’y remédier également. Il parvient enfin jusqu’au communicateur central, seule pièce d’équipement capable d’établir une liaison vocale et visuelle à des distances planétaires. Sans hésitation, le seigneur de la Grande Maison Arkies presse le bouton qui initie la conversation, regrettant trop tard que Garon Bazir ne soit pas à ses côtés pour cet entretien.
Le corps d’Entaris Iridian lui apparaît immédiatement sous forme d’image holographique. Outre son habit, désormais célèbre, de Planétologue, rien ne semble distinguer le régisseur impérial de tout autre habitant de l’empire : il est jeune, cheveux bruns coupés courts, la stature droite. Mais déjà son visage est marqué par une détermination qui n’échappe pas à Kenyl.
« Mes respects, seigneur Arkies. », tonne la voix d’Entaris, pleine de force aux oreilles du seigneur.
« Que la grâce de l’empereur soit avec vous, régisseur Iridian. », répond sans se laisser décontenancer Kenyl, selon la formule consacrée des Arkies à l’adresse de l’empereur ou d’un des ses agents.
« Je me permets de vous contacter pour vous signifier un changement du lieu de rendez-vous, seigneur Arkies. Vous n’aurez pas besoin de débarquer sur Ankwane même mais sur une plateforme spatiale qui gravité désormais en orbite autour de la planète. Mes hommes vous ont déjà transmis les coordonnées d’arrivée. »
« Je vous remercie, régisseur Iridian. Puis-je néanmoins m’enquérir de la raison de ce brusque changement, voire de la raison de ce rendez-vous tout court ? »
« De telles explications seraient trop longues à vous fournir à l’heure actuelle. Vous serez informés de tout lors que vous arriverez sur la plateforme impériale. »
« Bien, régisseur Iridian. Qu’il en soit ainsi. »
Ainsi c’est donc lui, ce fameux monstre à peine sorti de ses études qui va décider de notre sort, se dit Kenyl pour lui-même en fermant la communication. Au moins n’a-t-il pas l’air de vouloir du sang ou quoi que ce soit de trop désagréable.
« Dans combien de temps seront en vue de notre destination, capitaine ? », demande Kenyl.
« Quelques minutes à peine, Monseigneur. Dois-je prévoir une procédure d’urgence particulière ? »
« Y a-t-il quoi que ce soit qui puisse bloquer notre fuite éventuelle capitaine ? »
L’homme qui se tient à droite du seigneur Arkies ne peut réprimer un sourire de fierté à cette question.
« Non, Monseigneur, pas à ma connaissance. Nous possédons sur ce vaisseau l’équipement nécessaire pour bloquer tous types de rayons paralysants. Même un tir EMP ne parviendrait pas à déstabiliser nos systèmes. »
Souriant, Kenyl tapote sans tourner les yeux vers lui l’épaule du capitaine du vaisseau, visiblement rasséréné. Hésitant un instant, le seigneur Arkies se demande s’il est plus sage de retourner auprès des siens ou s’il faut rester ici afin de parer à toute éventualité. Il décide finalement de s’asseoir sur aux côtés de l’équipe de navigation, regardant du coin de l’œil les soldats dans leur labeur quotidien. Il note les sourires nerveux des opératrices, le regard très concentré du navigateur qui fait du mieux qu’il peut pour paraître affairé, les responsables des boucliers qui se partagent la répartition des défenses sur l’ensemble de la coque. Mais l’étude factice de ces petits moments de vie n’arrive pas à ancrer l’esprit de Kenyl dans le présent. A nouveau, ses souvenirs refluent vers la naissance de ses fils, l’affection déferlante qui l’a étreint au moment de les prendre dans ses bras la première fois, les yeux de sa femme lorsqu’elle étalait le regard sur eux, lui qui pose ses lèvres sur leur joue toute rose, les petites mains qui agrippent ses gros doigts…
« Monseigneur ? »
Brusquement sorti de sa rêverie qui lui tire malgré lui des larmes aux yeux, Kenyl Arkies redresse la tête en prenant une grande inspiration qui fait refluer ses effusions lacrymales.
« Monseigneur, nous sortons d’hyper-lumière dans moins d’une minute. », lui lance l’une des opératrices de bord.
La gorge nouée, Kenyl est incapable de répondre et se contente de hocher la tête. Il fixe l’horizon spatial, se concentre furieusement vers le potentiel danger à venir pour éviter de replonger dans ses souvenirs sensitifs qui le blessent un peu plus profondément à chaque fois. Face à lui, il n’y a pour l’heure que le conduit de couleur jaune caractéristique des voyages en hyper-lumière. Dans l’expectative, il attend fébrilement le passage dans l’espace non comprimé, celui qui lui révèlera ce qui l’attend à la fin de son voyage vers Ankwane, ce fameux rendez-vous auquel l’a convié Entaris Iridian, voix et juge de l’Empereur.
Le changement vient d’un coup, sans prévenir. Il coupe toute répartie au sein de l’équipage. Personne ne remarque la petite station spatiale dans laquelle doit se dérouler la réunion au sommet entre Arkies, Zamals et agents de l’empire. Nul ne cherche même à regarder les radars qui pourraient révéler la présence d’éventuels vaisseaux en camouflage optique. Tous n’ont d’yeux que pour le vaisseau déjà amarré à la station orbitale, superbe bâtiment noir, long et effilé, prétendument unique, que tous dans l’empire connaissent.
Au cri du seigneur Arkies, tous ceux qui discutent légèrement dans la cabine réservée aux passagers se figent, se lèvent et accourent, remplissant brutalement la cabine de pilotage dans un concert chaotique de voix discordantes. Voix qui meurent toutes, les unes après les autre, devant le spectacle qui s’étale devant eux. Amarré au port spatial, se tient la seconde plus grande légende de l’histoire de l’empire, le monument qui a marqué la renaissance de l’Humanité, la cristallisation de tous les rêves des Hommes, le vaisseau du Prophète Avraham, la Nuée Stellaire. Sur sa coque qui a nourri l’imaginaire de toute créature consciente vivant dans les limites de l’empire, on peut voir à l’œil nu les impacts des batailles spatiales auxquelles il a participé et dont il est toujours sorti vainqueur. La Nuée Stellaire, le vaisseau amiral du camp Arkies-Deck-Falgan-Galiossa, celui qui a battu avec une poignée de fidèles l’élite des Grandes Maison Rim et Rechag lors de la bataille de Hockten IV, celui qui a vaincu le feu des cinq plus grandes armées de l’empire de Malik IV. La Nuée Stellaire, dont le simple nom faisait trembler de peur les ennemis du Prophète, fidèle navire cosmique du plus grand mage stellaire ayant vécu à ce jour et dont la révolte secoue encore le cœur des Hommes dans leurs plus intimes retranchements. Ce vaisseau, fer de lance du camp d’Avraham durant la guerre civile, celui dont on vend encore des centaines de répliques en miniatures sur la moindre planète provinciale est ici, face à eux.
Dans un silence religieux, l’entourage du seigneur Arkies, se rempli de cette vision divine, celle qu’ils ont invoqués au cours de leur lutte pour la liberté lorsque le courage venait à leur manquer, celle à laquelle ils on voué leurs prières lorsque tout semblait perdu au cœur de la lutte. L’image de ce vaisseau qui surgissait du néant pour porter secours à ceux que l’espoir avait délaissé est chargée de trop d’émotion pour que quiconque ne se risque à briser ce moment de pure contemplation. Ce navire spatial, ce fut pour eux leur symbole, un espoir tangible, un rêve éveillé. Et le voici, surgissant face à eux, comme un vieil ami que l’on retrouve par surprise. L’émotion est visible sur chacun de leurs visages, la joie se mêlant au senti profond de trahison de le voir aujourd’hui dans les mains d’un suppôt de l’empereur.
Plus le vaisseau seigneurial Arkies s’approche du point de rendez-vous, plus le sentiment s’intensifie. On peut maintenant voir sans peine les canons qui furent en leur temps à la pointe de l’ingénierie Kurkiv, les réacteurs Galiossas, le blindage Bankto…véritable syncrétisme de tout ce que l’empire, humain ou non, avait de mieux à offrir, la Nuée Stellaire trône encore dans l’esprit de tous comme l’appareil ultime, le vaisseau invincible que même la coalition de Ma’Kin II n’a pas réussi à détruire lors de la bataille de Pak’Toris. Au plus profond du cœur des perdants de la guerre civile, ce vaisseau reste la preuve qu’ils n’ont pas tout à fait été vaincus, qu’il reste encore un bâtiment jamais défait qui pouvait continuer à se battre pour leurs idéaux si le besoin s’en faisait sentir.
A la stupeur de la surprise, succède désormais les gestes rituels, les signes religieux, les mains qui se joignent, les consciences qui s’unissent pour tendre vers le souvenir de celui qui fut leur héros à eux tous, Avraham, le Prophète de l’Humanité. Célia ouvre ses grands yeux bleus qui semblent ne jamais cligner des paupières de perdre un infime instant du spectacle, Ethania pleure à chaudes larmes, Dartas se signe les deux mains tendues vers l’avant, Joralie agrippe un pendentif caché sous les plis de sa robe, Murpugo est au garde à vous. Seul Kenyl Arkies ne se soumet pas à ces petits gestes chargés de superstition : ce n’est pas tant la vision du vaisseau qui lui a arraché un cri quelques instants plus tard, c’est l’illusion fulgurante qu’Avraham, son ami, puisse être encore en vie, qu’il sortirait de son vaisseau avec sa spontanéité déconcertante pour venir le saluer. Mais Avraham est mort, il a perdu la vie dans son duel avec Ma’Kin lors de la bataille de Pak’Toris, la plus terrifiante que l’humanité ait orchestrée depuis le début de la guerre spatiale. Même Kenyl, qui pendant des semaines avait refusé d’accepter l’évidence, avait dû se résoudre à l’admettre.
Et voilà que la Nuée Stellaire, perdue depuis la fin de la bataille qui a marqué la fin de la guerre, réapparaît, et avec elle l’espoir, fou, de la survie d’Avraham. Dans les yeux de Kenyl danse le souvenir de leur dernière poignée de main, le dernier sourire échangé, la dernière parole, la dernière vision de cet homme hors normes qui s’éloigne vers son destin. Puis, sans prévenir, une émotion froide se déverse dans les veines de Kenyl Arkies, douchant toute la chaleur que la vision du vaisseau du Prophète avait générée. Il n’est pas là, Avraham n’est pas ici. Il est bien mort face à Ma’Kin il y a douze ans. La présence de son vaisseau ici amarré à la station spatiale de l’empereur me prouve que rien ne reste de lui désormais : toutes les reliques de son ascension appartiennent désormais à ses ennemis. Il nous faut vivre seuls désormais, sans la douce certitude qu’il apportait à nos vies ; sans lui.
Revenu à ses esprits, le seigneur prend les commandes du vaisseau que plus personne ne pense à contrôler. Comme tout Arkies digne de ce nom, Kenyl est un grand pilote ; mais même le meilleur pilote de la galaxie ne peut pas diriger un vaisseau de cette taille à lui seul. De pressions rapides et contrôlées, Kenyl activent les systèmes de pilotage automatique, abaissent graduellement la densité des boucliers afin que ceux-ci n’entrent pas en collision avec ceux de la station orbitale, gère la puissance des réacteurs. Avant que sa suite ou le personnel de bord ait pu totalement sortir de leur hébétude, le vaisseau Arkies est sagement amarré au pont de la station.
Sitôt le bâtiment seigneurial à l’arrêt, Kenyl Arkies se lève, semblant réinsuffler la vie à tous ceux qui se sont pressés dans la cabine de pilotage. Il les toise d’un regard sans failles, semblant les jauger les uns après les autres.
« Allons-y », dit-il de sa voix claire et, sans autre forme de procès, Kenyl Arkies se dirige vers la sortie.
Arkies 01 – Zamal 01 (1)
Ambiance musicale : Lynyrd Skynyrd, Sweet Home Alabama (acoustic)
Le texte intégral en PDF ici.
Il était lui-même tombé amoureux du charme simple et nu d’Ankwane dès la première fois où il y avait posé le pied. De la planète émanait quelque chose d’indicible mais de palpable, une force calme qui vous touchait au cœur et amenait dans votre âme un repos que nul autre spectacle que celui de la vie sauvage laissée libre ne pouvait apporter. Pour le vieux guerrier dont la vie n’avait été rythmée que par la fureur des batailles spatiales, les décisions douloureuses prises en un instant, la mort de ses compagnons d’arme, le choc avait été aussi violent que salvateur. Pour lui, Ankwane était un sanctuaire, un endroit inviolable et sacré où il pouvait trouver refuge de l’âpreté de l’existence.
Il l’avait conquise à la tête de son armada à la faveur d’une grande défaite de ses ennemis Arkies, lors de la guerre civile qui avait amené l’Empereur Ma’Kin II sur le trône. A l’époque, il n’avait guère prêté d’attention aux légendes qui couraient sur cette terre, le fait que contrairement à presque toutes les planètes de l’Empire, celle-ci n’avait pas été adaptée artificiellement à la vie humaine ; la vie avait naquit ici naturellement. Mais de tout cela, Zarakis n’avait cure à l’époque. Ce n’est qu’après une nuit de combat sur la planète de sable de Fering, alors que tous profitaient des quelques heures de pause avant la reprise des hostilités, que le seigneur Zamaal s’intéressa pour la première fois à Ankwane. Il venait de perdre une bonne partie de sa garde lors d’une attaque surprise au sol et lui-même, désormais vieux combattant, n’avait dû sa survie qu’à l’intervention de son garde du corps, un ancien esclave du nom d’Achdab.
Comme tout bon chef de guerre, Zarakis ne s’autorisait pas de repos lors de ces pauses ; il savait combien la peur est prompte à s’installer dans les cœurs dans ces moments et avec elle le doute puis la défaite. La victoire se construit dans le cœur des combattants et c’était à cet instant tout autant que bientôt sur le champ de bataille qu’il lui fallait la bâtir. Zarakis allait donc de groupe de soldat en groupe de soldat, adressant un signe de tête à l’un, prenant des nouvelles de la blessure de l’autre ; il suffisait souvent d’un geste, d’un intention, une main posée en silence sur une épaule, un regard appuyé, pour faire renaître l’espoir dans les yeux de ses hommes. Il était leur chef, leur meneur et c’était en lui qu’ils venaient trouver le courage de se battre.
Alors qu’il finissait de faire le tour de ses troupes, Zarakis était tombé sur un être seul, un peu à l’écart des autres groupes. Il n’avait pas mis longtemps à reconnaître le visage caractéristique d’Achdab, sa peau plus sombre que celle des autres, son corps aussi fin que délicat. Achdab n’avait pas grandit dans des vaisseaux spatiaux, il n’était pas aussi grand que les autres guerriers de la Grande Maison Zamal mais sa rapidité et son agilité était connue de tous. Personne pour autant ne pouvait se targuer de le connaître ou de lui faire confiance : Achdab était trop différent d’eux pour qu’ils l’acceptent comme l’un des leurs. Zarakis, qui ne s’embarrassait guère de ce genre de frivolités, avait reconnu en son assassin solitaire un guerrier au premier coup d’œil, un être qui n’hésiterait pas à donner la mort si c’était nécessaire sans pour autant aimer recourir à la violence. En dépit de son statu d’ex-esclave, il en avait fait son homme de confiance et avait remis sa vie entre ses mains lors du décès de son ancien garde du corps. Les derniers jours de combat avaient vu la pertinence de son choix tant il avait évité la mort grâce à l’habileté d’Achdab. Ce soir là, le petit tueur ne semblait pas plus que d’habitude en proie au doute ou à la peur. Il se contentait de rester dans son coin, le visage calme et les yeux rivés vers les étoiles.
« Je peux m’asseoir, Achdab ? »
Comme sorti d’une intense rêverie, l’homme de main du seigneur Zamal prend un temps pour répondre avant de désigner de la main une place à côté de lui. Zarakis se pose au sol, regarder en l’air en tachant de comprendre ce qui a pu absorber autant son vis-à-vis. Celui-ci semble avoir deviné l’interrogation muette du seigneur.
« Je regardais les étoiles. Je pensais à chez moi. »
Zarakis répond par un grognement guttural dont il l’habitude, peut-être par crainte de sortir son compagnon de la douce rêverie dans laquelle il paraît errer
« Je me demandais si j’y retournerai un jour avant de mourir. »
« Tu es un homme libre désormais Achdab. Si tu es encore en vie à la fin de la guerre, tu pourras renter chez toi. »
« Peut-être. Mais ma planète est occupée. Si je veux la retrouver telle que je l’ai connue, il faudra me battre encore. »
« Où est-ce chez toi ? »
« C’est une planète de vent, une succession de plaines aux herbes vertes qui montent jusqu’au cuisses, de moulin géants qui captent la puissance de l’air pour alimenter les maisons. Il n’y a pas de vaisseaux, pas ce confort qui vous entoure tous et qui vous a attendri. Mais c’est beau et ça me manque. »
« Mais où est-ce ? »
« Je ne sais pas. »
Naturellement, le pauvre n’avait eu aucune éducation spatiale, il n’avait jamais dû lire une carte ni voyager de planète en planète. Mais il parlait avec tant d’émotion dans la voix de sa terre natale que Zarakis en était touché. Toute la nuit, le seigneur combattant questionna son assassin sur la terre de ses ancêtres. Il appris la valeur de leurs croyances, le respect qu’ils portaient aux morts, leur amour de la nature et de l’effort, leur connivence avec le vent qui rythmait leur existence.
Le lendemain, l’assaut repris et Achdab sauva une dernière fois la vie de Zarakis au prix de la sienne. Une fois le reste de ses hommes amené en lieu sûr, Zarakis reparti seul sur le champ de bataille. Il retrouva le corps de son garde, régla son fusil laser à la puissance maximale et pulvérisa le cadavre ; avec une infinie précaution, il vida sa blague à tabac dans le sable et entreprit de la remplir avec le contenu des cendres d’Achdab. Et là il fit le serment de déposer les restes de celui qui lui avait sauvé la vie tant de fois de ramener ses cendre sur sa planète libérée.
La guerre civile suivi son cours. Zarakis et ses hommes furent sauvés par un détachement aérien quelques jours plus tard. Peu à peu, la force de la Grande Maison Zamal s’imposait au reste de l’Empire. Le Seigneur cherchait sans relâche l’origine de son assassin mort au combat. Il fini par trouver et découvrir l’existence d’Ankwane qui, ironie du sort, était presque limitrophe à ses propres territoires. La petitesse de la planète et son manque de ressources fossiles l’avait rendue invisible à la plupart des cartes spatiales mais elle était toute proche. Cependant, étant sous contrôle de la puissante Grande Maison Arkies, Ankwane était hors d’atteinte. A l’époque, Zarakis ne pouvait se permettre le luxe de prendre d’assaut directement le territoire de son voisin à la flotte spatiale si supérieure à la sienne. Puis la guerre civile poussa les Arkies à envoyer massivement des vaisseaux sur le front Ouest de l’Empire, rendant ses frontières vulnérables. Quarante-huit heures plus tard, les maigres défenses d’Ankwane tombaient des mains des Zamals et Zarakis posait le pied sur le sol de la planète, dispersant les cendres de son compagnon d’arme au gré des gigantesques bourrasques qui balayaient les étendues herbeuses.
Zarakis s’était toujours plus occupé de cette planète chère à son cœur qu’il ne l’aurait dû. Il avait laissé un contingent de défense pour bloquer toute volonté des Arkies de revenir en force. Dès que la paix s’était imposée à la suite du couronnement de Ma’Kin II, le seigneur Zamal avait progressivement et prudemment évacué Ankwane pour la laisser aux mains d’un ancien gradé de son armée à qui il offrit la planète. Il en retira un immense déplaisir car il aurait voulu que les habitants locaux n’aient nul maître à qui rendre des comptes. Mais les lois impériales imposaient à chaque planète un interlocuteur digne de ce nom et le peuple d’Ankwane n’avait que faire d’un tel protocole. Laisser un homme à lui sur place était la garantie pour Zarakis que personne ne profiterait du vide administratif que représentait la petite planète pour l’acquérir par une manœuvre diplomatique au Sénat Impérial. Force était en outre de constater que les habitants d’Ankwane se souciaient assez peu de leur prétendue servitude du moment que nul n’entravait leurs éternelles allées et venues ni le respect de leur culture à laquelle ils tenaient tant. L’homme mis en poste par Zarakis était en outre un être usé par la guerre, bien trop faible pour dominer la population, trop désireux de plaire à son ancien seigneur pour aller à l’encontre de ses exigences mais apte à tenir son rôle face à un agent impérial.
Cette myriade de souvenir danse dans l’esprit de Zarakis et lui étreint le cœur au même titre que la magie de cette planète. Contrairement à tous ceux qui se tiennent dans la plaine venteuse en ce moment, il sait pourquoi le régisseur impérial Entaris Iridian les a convoqué : Rengad Hussif, ancien soldat et vassal de la Maison Zamal, régent de la planète Ankwane est décédé. Sans héritier, il laisse une place vide qu’il faut combler. Or la planète pose problème : d’un elle est située entre les territoires de deux Grandes Maisons puissantes ; de deux son histoire est lourde d’une opposition armée entre ces deux Grandes Maisons pour sa possession. Les risques d’affrontement sont donc évidents entre Zamals et Arkies. La seule solution intelligente était donc d’envoyer un émissaire mandaté par l’Empereur afin que Sa Majesté fasse reconnaître son droit d’arbitrage en la matière plutôt que de laisser ses vassaux se faire la guerre dans leur coin. C’est donc sans surprise mais avec beaucoup de satisfaction que Zarakis a reçu l’ordre de se rendre sur Ankwane deux jours après avoir appris la mort de Rengad Hussif. Cette joie a d’ailleurs fait beaucoup jaser : pour tout le monde, le seigneur a beaucoup à perdre avec la disparition de son allié. Si l’influence Zamale sur Ankwane n’était pas publique, il était clair que c’était avant tout Zarakis qui avait la main sur la planète; la mort de Hussif marque la fin d’une diplomatie unilatérale et sans aucun danger.
Le plaisir de Zarakis est plus subtil : il est heureux de la réaction de l’Empereur qui a fait le bon choix selon lui et a su réagir comme il l’espérait, non pas au bénéfice de la maison Zamal mais à celui de la justice. Le vieux guerrier a beaucoup risqué pour aider Ma’Kin II à prendre le trône et sans la gestion militaire désastreuse des Arkies, il est probable qu’il aurait pu perdre une bonne partie de ses territoires. Mais Kenyl Arkies, alors tout jeune seigneur depuis la mort de son père, n’avait à l’époque ni l’expérience ni le cran pour prendre les bonnes décisions lors d’un conflit majeur. Il savait s’entourer, il avait su d’ailleurs très vite apprendre de ses erreurs et faire confiance à des gens capables, mais cette Grande Maison qui brillait tant par ses exploits économiques et politiques n’était pas une nation guerrière. Les Arkies avait fait l’erreur d’envoyer leur flotte dans des batailles à l’importance secondaire, perdant de nombreux vaisseaux qui leur coûtaient à chaque affrontement une portion non négligeable de leur ressources, tant humaines que matérielles. Ils faisaient la une de tous les journaux, on parlait d’eux comme des maîtres de l’espace tant leurs engins étaient craints sur le champ de bataille spatial. Mais les médias ne font pas gagner les guerres ; loin des titres à sensations, de vrais stratèges prenaient bien soin d’amenuiser l’armada des Arkies lors de défaites calculées jusqu’à ce qu’il ne reste plus assez de forces à Kenyl pour fondre sur Bengalia, la capitale de l’Empire. Une fois affaibli, le seigneur Arkies avait tenté de fédérer une alliance autour d’un concept novateur d’un pouvoir nouveau, sans empereur et où la liberté individuelle ferait loi. Il n’avait pas été long à être abandonné de tous, ses alliés potentiels riant de ses visées humanistes bonnes pour un salon philosophique mais très peu pour la réalité du monde. Cela faisait encore rire Zarakis : l’idée d’abandonner l’Empire pour une démocratie universelle. Kenyl était de ces idéalistes qui construisaient des châteaux de cartes intellectuels dans leur tête sans même se soucier de savoir s’ils étaient viables. Tant que l’idée semblait séduisante et surtout pleine de panache, elle avait ses faveurs. Que croyait-il ? Qu’on avait édifié un système politique impérial par plaisir ? Non, on l’avait fait car c’était le seul qui puisse résister à l’envergure immense de l’expansion humaine dans l’espace. La démocratie, la technocratie, l’anarchie, l’auto régulation sans chef ni contraintes n’étaient possibles qu’à une toute petite échelle. Sitôt qu’un groupe d’individus fédérés sous une même bannière arrive à un seuil critique, défini par son nombre, elle doit muer en un système plus dur, plus violent et unilatéral. Il n’y avait rien là de méritoire ou de raison de s’enorgueillir : plus un pouvoir a recours à la force, plus il se sait, consciemment ou non, menacé. L’Humanité ne devait son unité qu’au diktat imposé par l’Empereur et les Grande Maison ; système féodal archaïque, cette hiérarchie injuste et âpre était néanmoins nécessaire. Zarakis l’avait expérimenté toute sa vie sur les champs de bataille : dès lors que des choix courageux et difficiles surgissent, le plus grand nombre se choisi un chef, un père, pour les guider et, accessoirement, prendre les responsabilités à sa place. L’Empire se sait menacé, il connaît les poussées indépendantistes des uns et des autres, il sait que s’il relâche la pression sur la masse immense des ses centaines de milliards de sujets, il sera face au constat de son impuissance et de ses faiblesses.
Kenyl Arkies avait oublié cette loi élémentaire du groupe et c’est pourquoi, en dépit de toute sa science dans la diplomatie, il avait échoué. Zarakis et son camp savaient, eux, de quoi il en retournait et s’était choisi un champion charismatique et capable en la personne de Ma’Kin II. Il n’était pas le meilleur des hommes, il n’était pas même le meilleur d’entre eux mais il était le seul capable de prendre les rênes du pouvoir. Pour autant, c’était un pari : si jamais les espoirs de Zarakis et de ses alliés s’avéraient infondés, l’Empire n’aurait pas survécu à la violence de la guerre civile. Il fallait un être hors du commun pour guérir les plaies de l’Empire, canaliser l’inconscient collectif de la majorité, incarner des grands thèmes qui parlent au cœur de tous. Le seigneur Zamal avait aujourd’hui une preuve supplémentaire qu’il avait fait le bon choix. La présence d’Entaris Iridian témoignait du sérieux et de la détermination de Ma’Kin II à s’imposer ; il le faisait à sa manière, toujours sous un couvert de faiblesse pour venir frapper au bon moment comme avec ces curieux Planétologues tout juste apparus sur le devant de la scène, mais il travaillait. Zarakis est donc heureux, non pas d’avoir perdu Ankwane mais d’avoir gagné la guerre, d’avoir misé sur le bon leader qui sait la valeur de la justice et de l’honneur.
La sonnerie d’un communicateur vient perturber le sentiment pur et sans artifices du spectacle qui s’étale devant les yeux de Zarakis et de la petite troupe qui l’accompagne. Sans que quiconque puisse l’en empêcher, la communication s’établi et l’hologramme du régisseur Iridian se forme sur l’avant bras du seigneur Zamaal. Il est jeune, si jeune, c’en est presque risible. Mais il y a quelque chose en lui de fort, structurant. A sa manière, c’est probablement un guerrier lui aussi.
« Vous êtes en retard, seigneur Zamal. »
« C’est vrai. »
Zarakis n’ajoute rien, il n’y a d’ailleurs rien à dire de plus. Contrairement aux ordres qui lui ont été donnés, il n’est pas immédiatement allé poser son vaisseau sur la station orbitale mais a atterri sur le sol d’Ankwane même, ne voulant pas manquer une occasion de revoir ce paysage qu’il vénère.
« Je ne peux pas tolérer plus longtemps cet écart au protocole diplomatique, seigneur Zamal. Veuillez vous rendre immédiatement au point de rendez-vous. »
« Il sera fait selon vos désirs, Régisseur. », répond Zarakis, narquois, qui a bien envie de voir ce que ce jeune coq a dans les tripes.
Coupant la communication, Zarakis se rempli de toutes les sensations qui l’enveloppe lorsqu’il est ici, reculant de quelques instants encore le moment redouté du départ. Puis sa volonté reprend le dessus, s’impose à de ses désirs sensoriels.
« On y va. », déclare simplement Zarakis, provoquant le mouvement conjoint de tous ceux qui l’ont accompagné sur le sol d’Ankwane.
Alors que tous retournent jusqu’au terrifiant vaisseau noir bardé de canons et sans aucune recherche esthétique, l’un des compagnons de Zarakis reste lui un peu en retrait, comme hypnotisé par le paysage. Le vieux seigneur de guerre s’approche de Darab Mu, son assassin favori et probablement celui de ses hommes pour lequel il le plus d’affection, pose une main amicale sur son épaule et l’entraîne à la suite des autres.
Arkies 01 – Zamal 01 (2)
Ambiance musicale : Lynyrd Skynyrd, Sweet Home Alabama (acoustic)
Le petit groupe passe devant d’immenses baies vitrées qui s’ouvrent sur l’espace. Tous tournent la tête pour voir le grand vaisseau noir qui trône dans la baie spatiale de la station. La vision magique de la Nuée Stellaire arrache à ce son auditoire des regards émerveillés voire des exclamations soufflées du bout des lèvres. Il n’y a aucun geste rituel comme chez les Arkies un peu plus tôt, plutôt un respect pour la force du symbole qui se trouve juste face à eux. Ce pourrait être une copie, un coup de bluff de l’empereur ou d’Iridian pour impressionner son monde. Mais Zarakis plus que tout autre sait que ce n’est pas le cas : sur la coque parsemée d’éclat de canons lasers, il peut voir de vieilles cicatrices que ses propres bâtiments ont laissé au vaisseau d’Avraham. Ce satané vaisseau ! Combien de bataille a-t-il fait pencher en la faveur du camp des rebelles ? Il arrivait toujours sans crier gare, telle une flèche noire perçant les rangs bien ordonnés des bataillons spatiaux de Zarakis, semant la terreur et la destruction dans son sillage. Toujours Avraham amenait avec lui une nouvelle surprise, un nouveau tour de magie stellaire qui venait mettre à plat les plans stratégiques travaillés avec soin. Cela ne lui amenait pas toujours la victoire mais combien de fois avait-il fait rendre gorge à des flottes deux à trois supérieures en nombre… Plus que le magicien, le leader d’homme, ce que Zarakis avait admiré chez Avraham c’était sa formidable capacité de pilotage. La Nuée Stellaire n’avait pas survécu à toutes les batailles dans lesquelles elle se jetait corps et âme que par sa supériorité technologique ; elle s’en était sorti parce que le chef du camp Arkies-Deck-Falgan-Galiossa était le plus brillant pilote de guerre que le chef de la Grande Maison Zamal ait vu à l’œuvre. Il ne l’aurait jamais admis, bien sûr, mais combien il avait eut peur de cet homme hors normes, son vaisseau noir qui par sa seule présence changeait le cours des conflits. Avraham avait été le plus valeureux des adversaires : malgré son ascendance Galiossa, un peuple de couards faibles et lâches, il y avait en lui le feu de ceux qui aiment se retrouver au centre du conflit, le courage des hommes qui ne reculent pas lorsque vient le moment de mettre leur vie en jeu. Et parce qu’Avraham avait été si fort, si puissant, sa victoire à lui, Zarakis Zamal, n’en était que plus glorieuse. Son seul regret avait été de ne jamais avoir pu abattre la Nuée Stellaire. Il aurait alors fait mourir tout espoir chez les rebelles, il le savait. Mais même lors de leur défaite à Pak’Toris, les fidèles d’Avraham avaient réussi à fuir dans leur vaisseau emblématique. Zarakis n’avait aucune idée de la façon dont Ma’Kin II avait pu mettre finalement la main sur l’ancien vaisseau de son adversaire et pourtant ami, Avraham ; mais il était là et c’est tout ce qui comptait aujourd’hui.
La troupe arrive finalement jusqu’aux portes de la salle de réception. On ouvre prestement à son arrivée et celle de sa troupe, avec des gestes frénétiques qui trahissent si bien la peur qu’ils inspirent. L’Empire dans sa totalité sait de quoi les Zamals sont capables, leur goût du combat, leur patience limitée. Ils ont toutefois oublié à quel point les Zamals sont également loyaux à Ma’Kin II, qu’ils ne feront jamais rien qui puisse déstabiliser l’Empire. Mais qui se soucierait de la mort de quelques serviteurs s’il prenait l’envie à l’un des combattants de la troupe de Zarakis de se servir de ses armes ? Un à un, les émissaires et les gardes s’effacent pour laisser la cohorte rentrer. Le spectacle est à la mesure de ce à quoi le vieux Zarakis s’attendait : une salle longue, à la hauteur démesurée, dont le mur du fond est une immense vitre qui donne sur l’espace. Au loin, on peut voir clairement Anwane qui brille dans une aura bleutée. Les Arkies sont là, bien entendu, déjà en rang les uns derrières les autres face au trône qu’occupe le jeune Entaris Iridian.
Sans qu’un mot ne soit échangé, les Zamals viennent occuper une position similaire, chacun faisant face à un représentant de la Grande Maison adverse. Seuls Kenyl Arkies et Zarakis Zamals se tiennent au premier rang devant le régisseur impérial. L’éclat de colère qu’il a vu passer sur le visage du seigneur Arkies fait sourire Zarakis : il ne s’attendait pas à cette confrontation. Il sait aussi que le pauvre Kenyl Arkies qui lui fait face ne doit rien comprendre à la situation actuelle et que son cerveau doit être proche de la surchauffe tant il doit tâcher de rattraper le retard d’information qu’il a sur ses adversaires. Lui comme les autres d’ailleurs : hormis le placide Garon Bazir, aucun des Arkies alignés les uns à côté de autres ne saisit ce qui est en train de se jouer. Scène amusante en vérité : deux colonnes d’hommes et de femmes qui se font face, deux rangées d’images d’Epinal de leur Grande Maison respective, Arkies face à Zamal. Ils se font face et dans cet affrontement du regard se cache toutes leurs différences. Il y a d’abord leurs accoutrements : alors que les Arkies arborent tous des tenues splendides mais dont l’élégance semble décalée dans un tel endroit, les Zamaals portent tous l’uniforme traditionnel noir et rouge de leur Maison. L’uniformité de leur vêtement leur confère une force sociale indéniable, une cohésion que n’ont pas les Arkies. Mais il serait stupide de se gausser du pouvoir doux de la diplomatie : les Arkies en imposent, ils sont beaux, désirables, comme Célia, la fille de Kenyl qui capte tous les regards tant sa beauté éclate au grand jour. Autre différence notable : la présence des femmes. Si les Arkies sont presque à égalité dans les sexes, il n’en est pas de même pour les Zamal qui n’ont amené ici que des hommes. Vieille tradition patriarcale contre progressisme et ouverture d’esprit. La stabilité de l’une contre la complémentarité de l’autre. Vient après l’âge des gens réuni ici : si les Arkies font la part belle à la jeunesse, au point d’en sembler naïf dans leur approche des négociations, les Zamals ne sont venus qu’entre adultes. A une exception près, personne chez les Zamals n’a moins de trente ans et Zarakis lui-même ne peut plus marcher sans sa cane de métal. Les Arkies ont toujours eut la vénération de la jeunesse, plaçant leurs espoirs dans la croyance chevillée au corps que leurs enfants seront meilleurs que ceux qui les ont précédés. Les Zamals eux avaient le culte du héros, de l’être unique, au-dessus du lot qui viendrait guider la masse vers un destin meilleur. Ils ont d’ailleurs fière allure les héros de Zarakis ! A sa gauche, il y a là Rin Eilov, le bretteur magicien, fine lame et Mage Stellaire de causes perdues. Entre Rin, homme élancé aux longs cheveux blonds qui flottent au vent, et Dartas Huji des Arkies, la tension est palpable. Juste à côté du duelliste, vient son grand ami, le général Eliat Tharn ; contrairement à Lowis Murpugo du camp Arkies, c’est un individu malin et un grand stratège, capable de juguler la peur qui s’empare de ses hommes à travers de grands discours de ralliement qui sont appris par cœur par les jeunes recrues de l’académie militaire. Juste à côté, complétant le trio guerrier des Zamals, vient Darab Mu, métisse entre une Zamale et un habitant d’Ankwane. Comme il a eu du mal à contenir son émotion lorsqu’il a foulé le sol de la planète ! Récipiendaire des arts de meurtre des habitants d’Ankwane, il a failli vaciller sous le l’afflux de la nostalgie et de la beauté du paysage. Pourtant, de tous ceux à qui les Arkies font face, c’est probablement celui est catalogué comme étant le plus dangereux tant les récits de sa rapidité et de son instinct dans le combat les ont fait trembler. Contrairement aux légendes qui courent, ce n’est pas l’un des siens qui a mit fin aux jours du père de Kenyl Arkies, plus probablement un assassin de la Grande Maison Rin. Reste que la méfiance affichée du camp adverse pour ce tueur à l’œil humide devant le spectacle de sa planète natale est bien réelle. Puis vient le dernier, le seul qui ne soit pas un vétéran gradé de la guerre civile, le plus doué de tous selon Zarakis et celui qui canalise les rêves les plus fous du maître de la Grande Maison, son petit-fils d’à peine douze ans, Perin Zamal. Il est tout juste sorti de l’enfance mais déjà on voit poindre en lui l’empreinte des grands hommes, cette marque distinctive des êtres hors normes que tous, sitôt qu’ils ont posé les yeux sur lui, savent au premier coup d’œil que son destin sera de mener le plus grand nombre vers de grandes choses.
Entre les deux lignes, impérial comme son rang le lui impose, Entaris Iridian trône avec cette assurance de ceux qui n’ont jamais été vaincus quand bien même ils ont livrés de durs combats. La puissance évidente qui émane de lui, la fatale constatation de sa domination sur ceux qui sont rassemblés ici, est visible de tous. Il les jauge, les examine, semble indifférent à leur rang, leurs exploits, leur force individuelle. Pourtant, le Planétologue n’a pas dans le regard ce mépris qu’ont souvent ceux qui acquièrent le pouvoir du jour au lendemain, sans l’éducation nécessaire pour l’exercer avec sagesse et intelligence. Il se contente d’être là, observant les divers acteurs du jeu qu’il va mettre en place dans les instants à venir. Il est la volonté de l’Empereur, le prolongement des décisions prises par Sa Majesté Ma’Kin II qui font loi sur les centaines de milliards de sujets de l’Empire. En lui, on sent toute la force et le poids de sa charge, la valeur de sa parole et de ses décisions qui décident du sort de planètes entières. Enfin, il se décide à parler.
« Nobles seigneurs, dignes héros des Grandes Maisons de l’Empire, je suis ici pour exprimer le souhait de sa Seigneurie Ma’Kin II, arbitrer et juger la compétition qui va vous opposer dans les mois à venir. Comme certains d’entre vous le savent, le seigneur tributaire de la planète autour de laquelle nous gravitons actuellement, Awkwane, est décédé il y a peu. Le sol sur lequel nous nous trouvons est donc sans maître. Il est de la volonté de Sa Majesté d’en conférer la charge à une Grande Maison afin d’en assurer la pérennité et la stabilité. Mais dans sa sagesse, l’Empereur n’a pas voulu attribuer dans la hâte la possession d’Ankwane à qui que ce soit ; c’est la raison pour laquelle je suis ici aujourd’hui, afin de remplir un rôle d’arbitre dans cette décision. Ma présence démontre toute l’importance avec lequel l’Empereur s’inquiète du sort de ses sujets. Vous êtes, Arkies et Zamals, les deux seuls qui soient digne du droit de posséder Ankwane, les deux seules Grandes Maisons qui puissent prétendre à la gestion d’une planète de cette envergure afin de lui assurer un avenir à sa mesure. C’est pourquoi vous vous opposerez dans un duel d’honneur afin que je puisse déterminer à laquelle de vos deux Grandes Maisons cette planète échoira. Il s’agit pour l’Empereur de juger vos qualités respectives, votre habileté et votre intelligence. Je vous souhaite bonne chance dans cette compétition et prie pour que les Galaxies accompagnent vos décisions. »
Avec gravité, Entaris Iridian fixe tour à tour l’un et l’autre des seigneurs des Grandes Maisons qui hochent tous deux la tête chacun leur tour dans un geste d’assentiment. Comme s’ils lisaient dans l’esprit l’un de l’autre, tous deux tournent la tête pour s’affronter du regard un bref instant, confrontant leurs ambitions respectives vis-à-vis du destin d’Ankwane. S’ils avaient eu la présence d’esprit de regarder du côté de ceux qui les accompagnent, ils auraient vu de part et d’autre le même jeu de regard entre les divers intervenants rassemblés ici.
D’un geste Entaris fait signe à tous que le conseil, aussi bref que lapidaire est terminé. Après les respects d’usage, Zarakis regagne son vaisseau personnel, suivi de sa suite. Il monte dans l’engin spatial, s’assied dans le salon sur le siège qui lui est réservé, attend que tout le monde prenne place et, avec un sourire carnassier qui lui mange tout le visage, déclare dans le silence ambiant :
« Messieurs, voici la guerre. »